Section 1 : L’approche sémantique.
§1 : L’évolution des termes « responsable » et « responsabilité ».
A/ L’origine étymologique.
Les deux mots viennent du latin RESPONDEN (répondre). Dans cette idée de réponse, il y a l’idée de se tenir garant du cours des événements à venir.
Dans un sens plus large, répondre est donner une réponse à n’importe quelle question au cours d’un dialogue. Il n’y a donc pas d’idée de faute, ni de fait de celui tenu de répondre.
B/ L’évolution historique.
1) L’apparition première du terme « responsable ».
Les premières traces du mot RESPONSABILIS apparaissent à partir de 1300, puis dans les dictionnaires de langue française : au XVème, le dictionnaire de Godefroy donne 3 sens = qui sert de réponse / admissible en justice / qui peut résister ; au XVIème, le dictionnaire de Huguet ne retient plus que deux sens = qui peut résister / de qui l’on répond. Dans l’Ancien Régime, RESPONSUM devient habituel et le mot « responsable » se déforme et s’attache à la personne au lieu de l’objet.
2) L’apparition tardive du terme « responsabilité ».
Il n’apparaît qu’à la fin du XVIIIème dans les langues européennes et dans le même temps aux Etats-Unis. Son apparition précède celle des mots « irresponsabilité » (1786) et « irresponsable » (1791). « Responsabilité » est admis en 1798 par l’Académie. Le code civil n’utilise que le terme « responsable ».
Aujourd’hui, le Littré définit la responsabilité comme l’obligation de répondre, l’obligation d’être garant de certains actes.
§2 : La polysémie du terme responsabilité.
Dans le langage courant, la notion de responsabilité est proche de celle de liberté, d’autonomie (responsable de ses actes, de sa vie,…) En droit, la responsabilité est la source l’obligation juridique de réparer.
Section 2 : L’approche transdisciplinaire.
§1 : Le redéploiement du concept de responsabilité.
A/ Paul Ricoeur.
Il évoque dans « Le Juste » (1995) le « rétrécissement du champ juridique de la responsabilité » (pour fautes) qui est compensé par une « extension du champ moral de la responsabilité ». Il considère que l’on est responsable du dommage mais aussi de l’autrui vulnérable.
B/ J.M. Domenach.
Dans « la responsabilité, essai sur le fondement du civisme », il met l’accent sur le paradoxe du champs de la responsabilité qui croît et décroît en même temps, en raison des efforts pour la contenir en lui substituant un système de couverture des risques.
C/ A. Etchegoyen.
« La responsabilité, un nouveau repaire qui exige de chacun une réflexion singulière sur ses propres devoirs. » Le même terme responsabilité peut désigner un pouvoir ou attribuer une faute à quelqu’un.
D/ H. Jonas.
Dans « le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique » (fin XXème), il explique que toutes les maximes traditionnelles de l’éthique se cantonnent à l’environnement immédiat de l’action humaine = fais aux autres ce que tu veux qu’ils te fassent. Il distingue la responsabilité comme imputation causale des actes qui ont été commis / et la responsabilité pour ce qui est à faire = obligation de pouvoir.
§2 : Approche psychologique.
Pour J. Salomé, quand une difficulté relationnel apparaît entre 2 individus, il y a une multitude d’attitudes possibles par rapport à la responsabilité de la difficulté, toutes comprises entre les 2 extrêmes que sont « je fais porter toute la responsabilité sur l’autre » et « j’estime être totalement responsable ». Il ne considère aucune de ces deux extrêmes comme bonnes, et pense que toute relation a deux bouts et que chacun est responsable de sa propre extrémité.
Section 3 : L’approche juridique.
§1 : L’évolution historique des rapports entre responsabilité pénale et responsabilité civile.
A/ Dans les droits primitifs.
La distinction est inexistante. La peine et la réparation sont confondues dans la vengeance privée. Au fil de l’évolution, un système de composition s’institue, dans lequel la victime obtient du coupable une somme fixée au fil des circonstances, puis tarifée par les autorités publiques. L’auteur du dommage est considéré comme coupable du seul fait de sa conduite préjudiciable.
B/ En droit romain.
La séparation entre les deux apparaît mais ne sera jamais complète. Affirmation progressive de la distinction entre les peines infligées par l’état et la réparation due à la victime.
C/ L’ancien droit.
Les auteurs marquent nettement la séparation entre la responsabilité pénale mise en œuvre par l’action publique, et qui tend à la punition du coupable, et la responsabilité civile dominée par le principe général selon lequel la victime du dommage a droit à la réparation de toutes les peines et de tous les dommages sans qu’il soit nécessaire qu’un texte spécial le prévoit = toute faute exige réparation. Au XVIIème, Jean Domat systématise la distinction entre réparation du dommage et punition, et à la révolution, la distinction entre les deux responsabilités est un fait acquis.
D/ La codification napoléonienne.
Elle va parachever la distinction. Les deux types de responsabilité sont traitées dans des codes distincts : le code civil et le code pénal.
§2 : Les rapports actuels entre la responsabilité pénale et la responsabilité civile.
A/ Les différences.
1) Une différence textuelle.
La responsabilité pénale ne peut être engagée que pour des infractions limitativement énumérées par la loi. La responsabilité civile (articles 1382 et 1383 du code civil) pose un principe général de responsabilité en vertu duquel tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.
2) Une différence de fonction.
La responsabilité pénale sanctionne une atteinte portée à la société (fonction répressive, d’intimidation et de réadaptation), alors que la responsabilité civile a principalement pour but de réparer le dommage subi par la victime (fonction de réparation).
3) Une différence de conséquences.
Au plan de l’action, les auteurs d’infractions pénales sont sanctionnés au moyen de l’action publique intentée devant les juridictions répressives et déclenchée par le ministère public ; la victime d’un délit civil obtient réparation en introduisant une action civile devant les juridictions civiles. Au plan de la sanction, la sanction pénale varie en fonction de la gravité de l’infraction, alors que la sanction de la responsabilité civile est en principe indépendante de la gravité de la faute = le montant des dommages et intérêts est proportionnel au préjudice subi par la victime.
B/ Les interférences.
Les deux responsabilités contribuent à prévenir des comportements antisociaux, illicites ou dommageables, en faisant peser sur l’auteur une sanction (peine ou dommages et intérêts).
Un même acte illicite peut être à la fois source de responsabilité civile et de responsabilité pénale. La victime peut alors agir devant une juridiction répressive, ou devant une juridiction civile. L’auteur de l’infraction pourra ainsi être sanctionné d’un point de vue pénal et d’un point de vue civil.
Les notions fondatrices des deux responsabilité étaient bien délimitées : pour le droit pénal = la culpabilité ; pour le droit civil = la faute. Ces deux fondements qui proviennent de l’histoire contemporaine ont été consacrés par la codification napoléonienne.
Ces notions de culpabilité et de faute sont aujourd’hui en grand recul au profit d’autres notions plus vastes : le droit pénal glisse de la culpabilité vers la dangerosité (transgression de l’interdit) par la mise à l’écart de ceux qui sont en désadaptation avec la norme fixée par le droit ; la responsabilité civile passe de la faute à la solidarité par le développement de l’assurance et des fonds d’indemnisations.
Ces nouvelles notions ne remplacent pas les autres, mais s’y superposent en élargissant le domaine de la responsabilité.