La construction communautaire est progressive . Les traités originaux ont prévu de réaliser par étapes successives une union politique, économique et monétaire, qui sont des buts assignés aux communautés sans date précise. Cette mise en œuvre progressive des buts communautaires est le fait des états = elle implique une intégration économique, politique et juridique.
L’intégration juridique ne signifie pas que les états ne sont pas dépossédés de leurs compétences dans le processus de décision. Les transferts de compétence existent, mais la construction communautaire n’anéantit pas pour autant l’état.
Section 1 : Le contrôle par les états du processus normatif.
La production normative communautaire est en augmentation constante qu’il s’agisse du droit communautaire originaire ou dérivé. Actuellement, 80% du droit interne est sous influence communautaire. Pourtant, cette production normative ne remet pas en cause le poids des états dans ce processus, car il contrôle les organes de décision communautaire même si ces organes communautaires restent sous l’influence de la Commission et du Conseil des ministres.
§1 : Le poids des états dans le processus de décision communautaire.
Dans le schéma institutionnel classique, le pouvoir de proposition appartient à la Commission ; le pouvoir de décision, au Conseil des ministres après avis du Parlement, et c’est la Commission qui est chargée de l’exécution. La pratique des institutions communautaires est allée dans le sens d’un renforcement du poids des états au stade de l’initiative mais surtout de la décision et de l’exécution de l’acte communautaire.
A/ L’initiative.
Comme elle relève de la Commission, les états n’ont à ce stade qu’un pouvoir limité même s’il existe grâce au COmité des REprésentants PERmanents (COREPER), composé de fonctionnaires étatiques ayant rang d’ambassadeur. C’est donc un organe composé de représentants des états. Sa composition et son fonctionnement en font une reproduction permanente au niveau des ambassadeurs du Conseil des ministres. Le COREPER a d’abord été créé par un règlement intérieur du Conseil des ministres en tant qu’organe subsidiaire, mais il a été constitutionnalisé par le traité de Maastricht. Les membres exercent un rôle de négociation auprès de la Commission puisque les projets d’acte émis par la Commission sont transmis au COREPER. Si ce projet recueille la majorité qualifiée au sein du COREPER, la question est inscrite au point A de l’ordre du jour du Conseil des ministres et l’acte est adopté sans discussion. Ce n’est qu’en cas de désaccords des représentants que la question est écrite au point B : il y a alors débat au sein du Conseil des ministres. Ainsi, grâce au COREPER, les états interviennent dès le stade de la préparation.
Il existe d’autres moyens pour l’état d’intervenir : la Commission montre favorable à l’intervention des états : consultation de groupes communautaires composés d’experts nationaux ; des représentants permanents lui permettent de légitimer sa position, l’assure dès ce premier stade de l’accueil favorable des états. Ils sont aussi favorable à cette procédure qui leur permet d’orienter la Commission.
B/ La décision.
A ce stade, la souveraineté de l’état ou du moins sa susceptibilité est préservée par l’intervention de deux organes.
1) Le Conseil des ministres.
Il s’agit de l’institution communautaire représentants les intérêts nationaux. Or le Conseil des ministres a toujours le dernier mot dans la procédure législative = la décision finale lui appartient, sauf procédure de codécision. Au sein du Conseil des ministres, les règles de votation permettent aux états d’influencer la décision finale.
· La majorité simple est la règle de principe dans les traités, mais elle est peu utilisée dans la pratique. La décision est adoptée avec le vote favorable de 8 états sur 15. Cette règle respecte l’égalité des états (un état = une voix) et donc favorise les petits états.
· La règle de l’unanimité n’est que l’exception dans les traités car elle laisse la place aux intérêts nationaux et non pas aux intérêts communautaires. Aujourd’hui, elle est en voie de régression : domaine de la recherche, de l’harmonisation des législations nationales, de la constitution, et des 2ème et 3ème pilier communautaire.
· La règle de la majorité qualifiée est basée sur la pondération des voix. Il s’agit d’un mécanisme qui veut relativiser l’égalité des états dans un soucis d’efficacité du processus législatif. Elle revient à accorder à chaque état un nombre de voix proportionnel à son importance démographique, économique et politique = destruction de l’égalité stricte entre les états. L’objectif est de réduire le poids des petits états pour éviter qu’ils ne détiennent à eux seuls une minorité de blocage (= l’addition de toutes les voix des petits états n’empêche pas l’adoption d’un acte) mais elle leur assure une représentation suffisante face aux grands états (ils ne pourront pas adopter seuls une décision).
Le nombre de voix constituant la majorité qualifiée varie suivant que le Conseil statue sur une proposition de la Commission ou non.
– quand il statue sur proposition de la Commission, les délibérations sont acquises si elles ont recueillis 62 voix sur 87. S’il s’éloigne ou rejette la proposition de la Commission, il faut l’unanimité, car cela permet de renforcer l’intérêt communautaire invoqué par la Commission face aux intérêts des états incarnés par le Conseil des ministres.
– quand il ne statue pas sur l’initiative de la Commission, il faut aussi obtenir 62 voix, mais il faut en plus que ce nombre exprime le vote d’au moins 10 états. Cette condition supplémentaire s’explique par la volonté que la décision exprime l’intérêt général de la communauté.
Cette majorité qualifiée est en progression constante : elle s’applique par exemple à la libre circulation des capitaux, à la politique des transports, et depuis le traité d’Amsterdam au domaine social, de la santé et à l’emploi. Les grands principes de cette règle ont été passablement édulcorés par les compromis de Luxembourg et Ionnanina.
Le compromis de Luxembourg du 29/1/1966 prévoit que quand un état estime unilatéralement que ses intérêts vitaux sont en cause, le Conseil des ministres doit rechercher un consensus, ce qui revient à substituer l’unanimité à la majorité qualifiée. Il s’agit d’un détournement des traités et dans les faits cela a entraîné la paralysie du Conseil des ministres, un ralentissement des activités communautaires et un engorgement de dossier. En 1974, le Sommet de Paris a voulu mettre fin à cette pratique mais il n’a pas été suivi.
Le compromis de Ioannina a été conclu avant le dernier élargissement de l’Union Européenne : puisque de nouveaux états sont entrés, il a fallu revoir la règle de pondération, et le seuil de blocage. Il a été fixé à 26 voix, mais si la minorité n’atteint pas ce nombre et qu’en même temps elle exprime une opposition assez importante (entre 23 et 25 voix), alors le Conseil des ministres est tenu de rechercher dans un délai raisonnable soit une majorité de 65 voix, soit l’accord d’au moins un état supplémentaire. Ce système est incohérent juridiquement, mais traduit quand même une volonté de parvenir à une cohésion politique des états. L’autre intérêt (plus pédagogique) est la mise en valeur de l’importance de la détermination du seuil de blocage : moins le seuil de blocage est élevé, plus il est facilement atteint, plus la prise de décision devient difficile, et plus le système communautaire est paralysé.
Selon le mode de votation applicable, chaque état reçoit au maximum le pouvoir de s’opposer à une décision (unanimité) ou au minimum le moyen de faire entendre sa position (majorité simple ou qualifiée). Avec la règle de la majorité, l’état membre n’est pas sur que sa position l’emporte mais elle a d’autant plus de chance que l’état est plus grand et plus influent (l’importance de l’état détermine son nombre de voix). La règle de la majorité est un moyen pour déresponsabiliser l’état face à l’opinion publique nationale, car elle lui permet de dire que telle décision lui est imposé par Bruxelles mais c’est oublier que l’état a participé à l’élaboration de la règle. Cette règle de la majorité permet aussi à l’état mis en minorité d’arguer de cette position dans une négociation future. Le mode de votation est une question cruciale dans l’Union Européenne car il détermine la nature de l’institution. Si on retient la règle de l’unanimité, l’institution internationale n’est qu’une conférence diplomatique, une organisation aux pouvoirs limités ; si on retient la majorité, le fait qu’une décision puisse être adoptée malgré l’opposition d’un état rapproche l’institution d’une structure quasi fédérale, or les traités fondateurs en étendant de plus en plus cette règle de la majorité qualifiée ont entendu faire l’Union Européenne une structure supra nationale.
Dans la pratique, on ne vote pas au sein du Conseil des ministres mais pendant longtemps on recherchait le consensus, c’est-à-dire une forte majorité. Cette recherche ralentissait la prise de décision mais en même temps, elle était justifiée dans la mesure où un état opposé à une décision se montre bien souvent réticent pour l’appliquer. Cette recherche est un petit peu atténuée depuis et on en revient à une pratique du vote.
2) Le Conseil européen.
On n’y vote pas. En cas de désaccords importants au sein du Conseil des ministres, la pratique veut que la question débattue remonte au Conseil européen. Il s’agit d’un organe réunissant les chefs d’état et de gouvernement. Il se prononce à l’unanimité et donc quand il parvient à un accord, sa décision revêt un caractère solennel accentué par la composition au plus haut niveau de l’instance. C’est une instance d’appel, ce qui montre qu’au niveau de la décision, les états ont toujours le dernier mot.
C/ L’exécution.
Au niveau de l’exécution, les institutions communautaires n’ont pas le monopole. Souvent, ce sont les états qui servent de relais d’exécution = il y a une répartition des compétences entre les institutions communautaires et les états. Cette répartition est appelée le procédé de la mise en œuvre indirect car les états servent d’intermédiaire.
1) Au niveau communautaire.
Le pouvoir des actes d’exécution appartient normalement à la Commission. Les états sont donc normalement écartés car la Commission incarne les intérêts communautaires. Pourtant, un procédé permet aux états de retrouver une influence à ce stade du processus = la commitologie : un dispositif formé de la Commission et d’un ensemble d’organismes techniques agissant ensemble pour édicter des normes exécutives communautaires. Le terme commitologie vient du Parlement européen, et a un aspect péjoratif à l’égard de la Commission. C’est un procédé assez lourd car il oblige la Commission à recueillir l’avis de comités techniques composés de représentants des états. Le Conseil des ministres décide discrétionnairement de recourir à ces comités sous réserve du pouvoir de proposition de la Commission. Généralement, les états au sein du Conseil des ministres semblent assez d’accord pour dépouiller la Commission de ses prérogatives exécutives : le Conseil choisit la procédure qui donne au x états le dernier mot. Ces comités techniques sont favorables en raison de leurs compositions (des représentants des états) et de la portée de leur intervention : en cas de désaccords entre le comité et la Commission, le Conseil des ministres (= les états) ont le dernier mot.
· le Comité de gestion : la Commission formule une proposition et fixe au comité un délai pour se prononcer. Soit le comité est d’accord ou garde le silence, et la Commission prend la décision ; soit le Comité rejette la proposition et la Commission prend alors une décision provisoire sur laquelle le Conseil des ministres peut revenir ; mais s’il reste passif, la décision est prise par la Commission.
· le comité de réglementation : la Commission formule une proposition et fixe un délai pour répondre au comité. Soit il approuve la proposition, et la Commission prend la décision ; soit il garde le silence ou rejette la proposition, et la Conseil des ministres est immédiatement saisi. Si ce dernier reste passif ou ne trouve pas d’accord, soit la Commission retrouve son pouvoir de décision, soit en cas de rejet à la majorité simple, la Commission doit reprendre toute la procédure.
Cette procédure est plus rigoureuse que devant le comité de gestion. Le poids du Comité de réglementation est renforcé par rapport à celui du Comité de gestion du fait que son silence du Comité soit compris comme un rejet implicite, alors que celui du comité de gestion vaut acceptation. Ce procédé est lourd, mais la Commission y est favorable car la commitologie garantie la bonne exécution du droit communautaire par les états en les associant à la prise de décision.
2) Au niveau national.
Avant même la consécration du principe de subsidiarité, les traités communautaires ont accordé la préférence à la mise en œuvre indirecte (par les états) car cela évite l’installation d’une administration communautaire tentaculaire et inefficace. La collaboration des états à l’exécution des actes communautaires est un devoir affirmé par l’article 5 du traité des communautés. Dans cette exécution du droit communautaire, les états conservent leurs autonomies : – institutionnelle car pour déterminer les autorités compétentes pour mettre en œuvre le droit communautaire, les états se réfèrent à leurs dispositions constitutionnelles.
– procédurale car les mesures nationales de mise en œuvre du droit communautaire obéissent aux procédures internes.
L’effectivité du droit communautaire dépend donc des états, qui ont à leurs charges deux types d’exécution : une exécution normative et une exécution administrative.
· L’exécution normative désigne l’édiction de mesures à caractères généraux pour compléter une disposition des traités ou transposer une directive. Les deux autonomies impliquent que chaque état désigne les autorités compétentes pour assurer cette exécution. En France, selon que le texte a trait à une matière de l’article 34 ou de l’article 37, le législateur ou le gouvernement sera compétent pour exécuter l’acte communautaire = c’est principalement le gouvernement qui assure l’exécution : 3 organismes jouent un rôle important.
Ä les ministères : ils sont chargés de prendre des mesures relevant de leur département. Pas de primauté du ministre européen.
Ä le ministère européen est un ministère spécialisé. Il siège à certaines formations du Conseil de l’Union Européenne, entretient le dialogue entre les instances communautaires et les parlementaires, mais n’a aucun pouvoir de décision propre, ni de coordination interministériel. Il reste sous la coupe du ministère des affaires étrangères.
Ä le secrétariat général du comité interministériel pour les questions de coopération économique européenne (SGCI) : il est composé des ministères les plus intéressés à la construction européenne, et de hauts fonctionnaires des services du PM. Il a pour mission de coordonner l’action des différents ministères en matière européenne, d’arbitrer les litiges entre les ministères et d’adresser aux membres du COREPER des instructions. Il s’agit d’un organe majeur au niveau du gouvernement s’agissant de l’exécution normative.
· L’exécution administrative : elle désigne la gestion quotidienne de la mise en œuvre du droit communautaire (ex: tout ce qui touche à l’octroi de prestation ou au recouvrement de créance). Par principe, les administrations nationales ont la responsabilité d’appliquer le droit communautaire aux particuliers. Ainsi, en France, l’administration des douanes recouvre les prélèvements agricoles pour le compte des communautés ; en matière agricole, le contrôle du respect de la réglementation communautaire (qualité des vins,…) relève des services nationaux de la répression des fraudes. La Commission a le pouvoir de vérifier sur place l’exécution nationale du droit communautaire. L’inexécution ou la mauvaise exécution est sanctionnée par la cour de justice = procédure de manquement.
§2 : L’association des instances nationales au processus de décision communautaire.
A/ La perte du pouvoir législatif.
1) L’origine de la perte : le dessaisissement de compétences.
Il s’agit d’un sujet récent dans l’histoire communautaire car à l’origine des communautés, le transfert de compétences des états vers les communautés était assez réduit du point de vue quantitatif, et les compétences transférées étaient des compétences techniques relevant du pouvoir exécutif. Cette situation initiale a évolué : les transferts sont de plus en plus nombreux, la législation communautaire est plus abondante, plus contraignante, car le règlement communautaire est plus utilisé que la directive. Face à ça, le Parlement français n’a pas les moyens de réagir : seul l’article 54 de la constitution est à sa disposition = il prévoit une révision préalable de la constitution si le traité a été jugé incompatible avec la constitution. Ce procédé est limité, puisqu’il ne s’applique qu’aux traités et engagements internationaux, alors que les transferts de compétence résultent souvent du droit dérivé (règlement, directive, ou même jurisprudence). Les parlementaires français ont essayé en 1992 lors de la ratification du traité de Maastricht d’étendre l’article 54 aux actes de droit dérivé, mais cette idée n’a pas été retenue, car s’il avait fallu faire intervenir le Conseil constitutionnel et le Parlement pour chaque acte dérivé, la construction communautaire aurait été beaucoup ralentie.
Aujourd’hui, les transferts de compétence débordent largement le cadre économique initial : dans les domaines de l’éducation, de l’environnement, de l’immigration. Le Parlement est l’institution nationale souffre le plus de ces transferts : les nouvelles compétences communautaires sont exercées par le Conseil des ministres, et donc même si les gouvernements doivent admettre un exercice en commun de ces compétences, ils deviennent par l’intermédiaire du Conseil des ministres, des titulaires des compétences transférées. Le Parlement est donc rabaissé à un rôle d’exécutant, de figurant du droit communautaire.
2) La conséquence de la perte du pouvoir législatif : un Parlement au rôle d’exécutant.
Pour être applicable en droit interne, la législation communautaire suppose l’édiction de normes nationales = »mise en œuvre indirecte du droit communautaire ». Elle concerne les règlements et les directives communautaires
· Les règlements sont d’applicabilité directe mais il est parfois nécessaire de prendre des actes nationaux d’exécution soit sur renvoi expresse du règlement, soit sur intervention spontanée d’un acte national quand le règlement est imprécis. Normalement, l’édiction des actes d’exécution relève du pouvoir d’exécution, mais il existe une exception à ce principe : les lois peuvent exécuter les règlements communautaires pris en matière d’harmonisation des législations nationales. Dans ce cas, le Parlement national a un rôle négligeable dû au caractère du règlement communautaire = il ne fait que l’exécuter (sa compétence est étroitement liée par cet acte).
· Les directives : leurs transpositions relèvent du pouvoir exécutif ou du Parlement par application des articles 34 et 37. Dans la pratique, la compétence parlementaire se transforme en compétence d’exécution subordonnée (la directive prime sur la loi) et conditionnée (l’intervention de la loi présuppose l’édiction de la directive).
L’abaissement du pouvoir législatif est lié au droit communautaire, mais est renforcé par le pouvoir exécutif : alors même que les transpositions relèvent de la loi, le gouvernement va recourir au pouvoir réglementaire autonome, aux ordonnances de l’article 38 et aux armes du parlementarisme rationalisé (vote bloqué, engagement de responsabilité sur 49-3,…). Ce rabaissement du pouvoir législatif a un rôle de simple exécutant de la politique communautaire est aussi lié à l’évolution du contenu des directives : normalement, elles fixent aux états une obligation de résultat et leur laissent toute liberté pour la transposition, mais ces directives sont de plus en plus précises et la marge d’appréciation pour la transposition est donc plus réduite. L’évolution du pouvoir législatif est aussi due à la jurisprudence de la Cour de Justice qui reconnaît à certaines conditions un effet direct aux directives = il y a moins besoin de lois de transposition.
Un état qui ne transpose pas ou mal une directive est sanctionné par le recours en manquement = un processus prévu par le traité de Rome. La Cour de Justice a élaboré un autre moyen pour sanctionner l’état sur ce terrain = la responsabilité de l’état pour défaut ou insuffisance de transposition (CJCE 13/11/1991 Francovitch & Bonifaci). Face au déclin de leurs pouvoirs, les Parlements nationaux ont fini par réagir, en adoptant des mécanismes permettant de les associer à l’activité communautaire.
B/ La perte du pouvoir législatif liée au déclin des Parlements.
Il existe une corrélation entre le déclin de la compétence et celui du titulaire. Le déclin du Parlement est un thème récurrent commun aux droits interne et communautaire. En droit interne, il touche les rapports entre l’exécutif et le législatif ; en droit communautaire, le problème est plus large car il vise aussi les dessaisissements de compétence. Les exécutifs sont les intermédiaires directs des institutions communautaires ; les membres des exécutifs font aussi partie des institutions communautaires (Conseil des ministres et Conseil Européen) ; et certains départements ministériels, comme celui des affaires étrangères ou des affaires européennes, établissent des relations administratives permanentes avec la Commission. Pour essayer de compenser le déclin des Parlements nationaux, on a revalorisé le Parlement européen, ce qui n’est qu’une compensation imparfaite.
On a aussi pris conscience de la nécessité de renforcer l’information des parlements nationaux, car la primauté et l’applicabilité directe du droit communautaire les dépossèdent de leurs missions d’examen des règles juridiques ; la production normative communautaire est en augmentation croissante ; et enfin, l’information en amont de l’adoption de l’acte communautaire évite des réactions de rejet au moment de la transposition. Cela a amené les instances nationale et communautaire à faire en sorte que les Parlements nationaux ne se trouvent pas devant des normes déjà édictées qu’ils ne pourraient plus influencer. Tous ces procédés d’association sont plus des procédés d’information, car les Parlements nationaux ne peuvent pas imposer leurs positions aux institutions communautaires.
1) Les procédés nationaux.
En GB, une commission a été instituée au sein de la chambre des communes, et est chargée de discuter des projets communautaires avant les discussions au sein des institutions communautaires.
Au Danemark, les ministres doivent communiquer à la Commission du marché (commission parlementaire) les positions qu’ils vont prendre à Bruxelles. Or les ministres danois sont liés par l’opposition du Parlement, ce qui favorise certains blocages, car les ministres doivent négocier avec leurs représentants européens et leurs parlementaires.
En France, le système est beaucoup moins contraignant : l’information des parlementaires n’a été aménagée qu’en 1979, car, avant cette date le Parlement européen n’était que l’émanation des parlements nationaux. La loi du 6/6/1979 institue au sein de chaque chambre une délégation parlementaire pour l’Union Européenne, composée de 36 membres représentants proportionnellement les groupes parlementaires, et qui a pour mission de suivre les travaux menés par les organes communautaires pour, ensuite, en informer les chambres. Elles effectuent leurs missions grâce à la communication par le gouvernement des projets de directives ou règlements dès leurs transmissions au Conseil des ministres. Une fois que les délégations ont reçu et analysé ces informations, elles les transmettent au bureau de l’assemblée qui les communique à son tour aux commissions parlementaires. Cette information a été renforcée par la loi constitutionnelle du 25/6/1992 précédant la ratification du traité de Maastricht, qui a introduit dans la constitution l’article 88-4. Il renforce le dispositif aménagé par la loi de 1979 : désormais l’information parlementaire est hissée au niveau constitutionnel. En même temps, cet article s’applique uniquement aux propositions d’actes communautaires comportant des dispositions de nature législative.
Pour le Conseil constitutionnel, ce terme de résolution est synonyme d’avis, ce qui implique que le gouvernement n’est pas lié. Ainsi, concernant le droit de vote au Parlement européen des citoyens de l’Union Européenne résidant dans un état membre dont ils n’ont pas la nationalité, une résolution de l’assemblée nationale avait souhaité que ce droit ne s’applique pas à ceux qui ne disposent en France que d’une résidence secondaire, mais ni le gouvernement français ni le Conseil des ministres européen n’en ont tenu compte.
Depuis 1992, quelques 1170 projets d’acte communautaire ont été transmis au Parlement, et ils ont donné lieu à 168 résolutions. Ces délégations sont dans la pratique inefficaces, car elles sont mal informées par le gouvernement. Elles devraient avoir connaissance des projets, mais le gouvernement ne lui transmet pas systématiquement les projets d’actes communautaires alors que cela est prévu dans l’article 88-4 ; les parlementaires ne sont pas informés des suites de la résolution ; et le gouvernement n’informe pas le Parlement de ses positions au sein des institutions communautaires, cette opacité garantissant au gouvernement la maîtrise de la politique communautaire.
L’actuel projet de révision constitutionnelle étendrait l’information des parlementaires s’agissant des actes à caractères législatifs, et concernant les 2ème et 3ème piliers.
2) Les procédés communautaires.
Ils sont peu nombreux. Depuis 1975, une conférence regroupant les présidents des assemblées législatives des états membres se réunit chaque année. Cette coopération interparlementaire a été améliorée par le traité de Maastricht puisqu’il prévoit que les présidents du Conseil européen et de la Commission fassent un rapport à cette conférence sur l’état de l’union. Une disposition du traité d’Amsterdam formalise l’information des parlements nationaux sur les activités de l’union : ils devront recevoir tous les documents de la Commission et toutes les dispositions législatives. Par ailleurs, un délai de 6 semaines devra séparer le moment où le Conseil et le Parlement reçoivent la proposition et celui de sa discussion. Il officialise aussi la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires = une réunion de parlementaires nationaux et européens.
Section 2 : Influence des institutions communautaires sur le processus communautaire.
§1 : Influence de la Commission.
A/ Pouvoir de proposition.
Il s’agit d’un pouvoir considérable car il conditionne le déclenchement du processus de décision. Cette fonction d’impulsion de la fonction législative revenait naturellement à la Commission, celle-ci ayant pour tache la promotion de l’activité communautaire. La règle générale veut donc que le Conseil des ministres ne statue que sur initiative de la Commission. Ce monopole de l’initiative lui confère d’une part un pouvoir d’orientation (la discussion s’engage sur la base de son texte), et d’autre part un pouvoir de blocage (rien ne peut se faire sans elle). Le mode habituel d’expression de ce pouvoir d’initiative est la proposition = un acte non contraignant, préparatoire. La Commission peut aussi exercer son pouvoir de proposition par la voie de la recommandation, qui ne lie pas le Conseil des ministres.
Les mécanismes juridiques renforçant ce pouvoir : – c’est sur la base de la recommandation ou de la proposition que le Conseil des ministres discute : il ne peut la modifier qu’à l’unanimité. Mais pendant toute la période de discussion, la Commission est libre de retirer sa proposition ou de la modifier.
– si le Conseil des ministres adopte une mesure en dehors de toute proposition de la Commission, cette mesure serait nulle pour incompétence.
– le traité d’Amsterdam a accru les capacités d’initiative de la Commission en créant de nouvelles politiques, de nouveaux domaines d’action, ce qui étend les domaines d’initiative de la Commission. Cette extension a été réalisée par la communautarisation des questions touchants à la libre circulation des personnes, et par l’institution de l’initiative conjointe des états et de la Commission dans le 3ème pilier, alors que la Commission était auparavant exclue de ce domaine.
Les mesures limitant ce pouvoir : – il est de plus en plus partagé avec le Parlement européen, qui depuis le traité de Maastricht, dispose d’un succédané d’initiative parlementaire = il peut adresser des propositions d’initiative à la Commission. Il s’agit d’un partage car les procédures de codécision et de coopération donnent au Parlement un pouvoir d’amendement qui vient atténuer la portée de la proposition de la Commission. Le partage du pouvoir d’initiative de la Commission a aussi lieu avec les états dans les 2ème et 3ème piliers, et avec la BCE dans le domaine de l’union monétaire.
– il est de plus en plus restreint dans sa substance puisque, surtout depuis l’acte unique, de nombreux traités obligent la Commission à exercer son pouvoir en fonction d’objectifs, de principes extrêmement précis. Par exemple, dans le domaine agricole, elle doit prendre pour base dans ses propositions les objectif fixés par les états de la PAC.
– chaque proposition de la Commission doit être justifiée au regard du principe de subsidiairité.
B/ Pouvoir d’influence.
La Commission exerce un pouvoir d’influence à travers son rôle de gardienne des traités puisqu’elle en contrôle l’exécution, de même que l’exécution par les états membres et les institutions communautaires des actes dérivés = elle maîtrise les deux bouts de la chaîne législative (l’initiative et l’exécution). La Commission a un pouvoir réglementaire d’exécution.
Elle exerce aussi son influence grâce aux informations dont elle bénéficie = elle se la procure par elle-même (plaintes dont elle est saisie ; documents officiels ;…), ou bien elle lui est communiquée par les états (sur la transposition des directives,…), ce qui lui permet d’exercer deux types de recours : le recours en carence et le recours en manquement.
Elle accorde des autorisations, se prononce sur les clauses de sauvegarde qui permettent de suspendre l’exécution du droit communautaire afin d’éviter des difficultés graves qui pourraient remettre en cause le droit communautaire.
§2 : Le renforcement du rôle du Parlement européen.
Au départ, le Parlement européen n’avait qu’un rôle consultatif. Ses attributions ont été étendues en matières budgétaire et normative.
En matière budgétaire : ils ont été élargis s’agissant de l’élaboration du budget et en matière de concertation, cette procédure associant le Parlement à l’élaboration des actes législatifs ayant des incidences sur ses pouvoirs budgétaires.
En matière normative : la procédure consultative donne au Parlement européen un pouvoir plus ou moins important d’influencer la procédure législative (avis simple, obligatoire, ou conforme). Mais c’est surtout avec les procédures de coopération et de codécision que le Parlement européen intervient dans la procédure législative.
Ä La procédure de coopération : elle a été instituée par l’Acte Unique, et s’applique dans les domaines de l’environnement, de la politique sociale, de la formation professionnelle, des transports,… Elle se déroule en deux phases = sur proposition de la Commission et après avis du Parlement, le Conseil des ministres adopte une position commune à la majorité qualifiée. Dans la seconde phase, cette position commune est transmise au Parlement pour une seconde lecture : – le Parlement approuve la position commune, et le Conseil adopte l’acte selon la position commune à la majorité qualifiée.
– le Parlement rejette globalement la position à la majorité de ses membres, et le Conseil peut adopter la position commune mais à l’unanimité.
– le Parlement propose des modifications. Un délai d’un mois s’ouvre pendant lequel la Commission peut soit modifier sa proposition en y incluant les amendements du Parlement, soit rejeter ces amendements. Dans ce dernier cas, le Conseil des ministres peut soit approuver à la majorité qualifiée la proposition amendée, soit rejeter à l’unanimité les modifications de la Commission pour garder les amendements parlementaires.
Cette procédure est longue et complexe, ce qui a pour objectif de renforcer le poids du Parlement européen dans le processus législatif tout en préservant les principes essentiels de la procédure de décision (monopole de l’initiative à la Commission et dernier mot donné au Conseil des ministres). L’opposition de la Commission ne peut être surmontée par le Conseil des ministres qu’à l’unanimité, ce qui maintient l’influence de la Commission, celle-ci devant s’assurer du soutien d’un seul état pour empêcher la formation de l’unanimité.
Ä La procédure de codécision : elle a été instituée par le traité de Maastricht, et renforce encore plus le poids du Parlement puisque cette fois il y aura une inégalité entre le Conseil des ministres et le Parlement, même si en apparence, le rôle majeur de la Commission a été préservé. Les matières soumises à la codécision sont de plus en plus nombreuses : elles étaient limitées à 3 domaines au départ, à savoir le marché intérieur (libre circulation des travailleurs, liberté d’établissement, rapprochement des législations) ; certaines actions d’encouragement dans le secteur de l’éducation, de la culture et de la santé ; et l’environnement et la recherche. Le traité d’Amsterdam a étendu la codécision à la non-discrimination, à la citoyenneté européenne, à la sécurité sociale et à la lutte contre la fraude.
Cette procédure se déroule en 8 phases, et s’inspire en partie de la procédure de coopération :
· La Commission présente sa proposition au Parlement européen et au Conseil ;
· Le Parlement européen adopte son avis ;
· Le Conseil arrête une position commune, transmise au Parlement ;
· Pendant un délai de trois mois à compter de la transmission de la position commune au Parlement, ce dernier à plusieurs possibilités : – approuver la position commune = le Conseil l’adopte définitivement.
– ne pas se prononcer = le Conseil arrête l’acte conformément à la position commune.
– indiquer, à la majorité absolue de ses membres, son intention de rejeter la position commune = le Conseil convoque alors un Comité de conciliation, et le Parlement peut soit confirmer son rejet et la proposition d’acte est réputée non adoptée, soit proposer des amendements.
– proposer à la majorité absolue de ses membres, des amendements à la position commune = le texte amendé est transmis au Conseil des ministres et à la Commission.
· Si dans le délai de 3 mois, le Conseil des ministres approuve les amendements, le texte est adopté. Mais si les amendements n’ont pas reçu l’accord de la Commission, le Conseil des ministres devra approuver le texte à l’unanimité. Si le Conseil des ministres n’approuve pas le texte amendé, le comité de conciliation est convoqué ;
· Le comité de conciliation a pour mission de rechercher un accord entre le Conseil et le Parlement sur un projet commun. La Commission est totalement écartée de cette phase, puisque le comité de conciliation est composé à égalité de membres du Conseil des ministres et de parlementaires ;
· Si dans un délai de 6 semaines à compter de sa convocation, le Comité approuve le projet commun, le Parlement à la majorité absolue des suffrages exprimés, et le Conseil à la majorité qualifiée doivent à leurs tours confirmer le projet. Il y a bien égalité entre le Parlement et le Conseil car le défaut d’approbation de l’une des deux institutions empêche l’adoption de l’acte ;
· A défaut d’accord au sein du comité de conciliation, la proposition d’acte est réputée non adoptée sauf si le Conseil des ministres à la majorité qualifiée confirme la position commune dégagée avant la convocation du Comité. Il y a alors rupture de l’égalité entre les deux institutions, mais elle est rétablie car le Parlement européen peut à nouveau rejeter le texte dans un délai de 6 semaines à la majorité absolue de ses membres.
Cette procédure a été simplifiée par le traité d’Amsterdam : – la majorité qualifiée se substitue à l’unanimité au sein du Conseil des ministres mais seulement dans le domaine de la recherche. Dans ce domaine, on supprime donc un élément de blocage.
– un accord entre le Conseil et le Parlement peut intervenir dès le premier stade de la procédure = après la proposition de la Commission, l’avis du Parlement peut contenir des amendements : en l’absence d’amendements ou s’ils sont acceptés par le Conseil, la mesure est directement arrêtée par le Conseil des ministres ; si les amendements sont rejetés par le Conseil, le Conseil des ministres exprime sa position et la procédure reprend comme l’ancienne. Les délais de 3 mois et de 6 semaines peuvent exceptionnellement être prolongés de 1 mois et de 2 semaines.
– la suppression de l’annonce par le Parlement de son intention de rejeter la position commune et de la possibilité pour le Conseil d’adopter l’acte malgré l’absence de projet commun élaboré par le comité de consultation visent à assurer une égalité parfaite entre le Conseil et le Parlement.
Ces deux procédures ont renforcé l’influence du Parlement européen, qui dans la dernière a le même pouvoir de décision que le Conseil des ministres, mais ce renforcement se fait au détriment de la simplicité du système communautaire.
§3 : Le rôle normatif du juge communautaire.
A travers sa fonction contentieuse, la CJCE élabore des normes jurisprudentielles = les PGD. Il s’agit d’un pouvoir considérable, non prévu par les traités, mais qui ne doit pas être surestimé car l’intervention normative de juge reste placée sous le contrôle des états = quand le juge élabore un principe, les états peuvent toujours modifier la règle de droit communautaire interprétée par le juge.
Ex : le code de la sécurité sociale français contient certaines dispositions concernant l’allocation du fond national de solidarité des étrangers. Ces dispositions sont en contradiction avec le Traité de Rome, mais la France ne les a pas abrogé pour autant : elle a été condamné en 1991 pour manquement à la suite d’une interprétation extensive d’un règlement communautaire. En 1992, le Conseil des ministres a adopté un nouveau règlement plus conforme aux thèses françaises.