Afin de s’assurer du respect des traités constitutifs par eux-mêmes, les Etats ont, dès l’origine, érigés la Commission et la CJCE au rang d’organes de surveillance de la mise en œuvre du droit communautaire.
La procédure en manquement (art.226CE : ex-art169CEE) constitue un mécanisme très efficace qui va obliger les Etats à respecter le droit communautaire par le biais d’une décision de la CJCE, qui est seule compétente en matière de manquement. Elle constitue un exemple d’application juridictionnelle du droit communautaire en cas de défaillance des Etats dans leur obligation de mettre en œuvre les traités.
§1 : La notion de manquement.
A/ La nature de la norme violée.
Le recours en manquement est qualifié d’objectif, car il va amener la Commission puis la CJCE à constater objectivement que les Etats violent une règle de droit communautaire.
Cette violation peut concerner toutes les normes du droit communautaire : les traités constitutifs, les PGD, les traités internationaux conclu par les Communautés, le droit dérivé, les arrêts de la CJCE (y compris ceux prononçant un manquement),…
B/ La nature de la violation.
Le manquement sera caractérisé en cas d’adoption volontaire ou non d’une norme constitutionnelle, législative ou administrative contraire au droit communautaire, ainsi que par le simple maintien d’une norme nationale contraire au droit communautaire quand bien même cette norme nationale ne serait pas mise en œuvre voire même serait tombée en désuétude. Les Etats sont donc tenus d’éradiquer les normes existantes contraire au droit communautaire, et d’adopter de nouvelles normes qui y soient conformes.
CE, 3/1/1989 Compagnie Alitalia impose à l’administration, sur demande des administrés, d’abroger un acte administratif contraire au droit communautaire.
La procédure en manquement constitue un écho du principe de coopération loyale qui impose aux Etats de ne rien entreprendre qui puisse contrevenir aux règles du droit communautaire.
§2 : Le rôle de la Commission dans la procédure en manquement.
A/ Lettre de mise en demeure de la Commission.
L’art.226 fait de la Commission l’organe central dans le domaine du manquement, ce qui tient à sa fonction de gardienne des traités : elle doit surveiller l’application du droit communautaire par les Etats ou les institutions. Dans le recours en manquement, son action s’inscrit dans une phase pré-contentieuse.
La Commission sera alertée du manquement d’un Etat membre à ses obligations communautaires de deux manières : – la Commission peut d’office relever des cas de violation du droit communautaire ;
– des individus, personnes morales, institutions, ou d’autres Etats, des régions, … peuvent porter plainte devant elle et expliquer que leur propre Etat ou un autre Etat viole le droit communautaire. La plainte s’effectue sur papier libre sans formalité particulière : il n’y a pas d’exigence d’intérêt à agir, la procédure est purement objective et vise à alerter la Commission de la violation du droit communautaire.
La Commission adresse alors à l’Etat incriminé une lettre de mise en demeure de s’expliquer : si la réponse de l’Etat n’est pas satisfaisante, la Commission va engager une seconde étape.
B/ L’avis motivé de la Commission.
La Commission va adresser à l’Etat un avis motivé, dans lequel elle explique clairement les raisons pour lesquelles elle pense qu’il y a violation du droit communautaire : elle relève l’incompatibilité entre la norme nationale désignée et la norme communautaire, et, éventuellement, propose des solutions permettant de mettre un terme aux manquements qu’elle a cru déceler.
Cet avis sera assorti d’un délai plus ou moins long, pendant lequel l’Etat doit rétablir sa situation normative. A ce stade, soit l’Etat obtempère, soit il refuse. Il peut aussi justifier son manquement : mais les faits justificatifs avancés par les Etats ne sont jamais considérés comme recevables, pas même le fait qu’une dissolution de l’assemblée nationale ai retardé l’adoption d’une loi.
Les manquements trouvent très souvent une solution dans le cadre de cette phase pré-contentieuse. Mais, si la Commission estime que l’Etat incriminé n’a pas suivi son avis motivé, elle pourra saisir la CJCE (10% des cas), ce qui ouvre la seconde étape du recours, à savoir la phase contentieuse.
§3 : La constatation du manquement par la Cour de Justice des Communautés Européennes.
A/ La portée de l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes.
La CJCE, saisie par la Commission, va rendre un avis constatant soit une absence de manquement, soit un manquement. Le rétablissement de la légalité par l’Etat avant le prononcé de l’arrêt ne met pas un terme à la procédure, car la CJCE estime que les requérants ont un intérêt à ce qu’elle se prononce sur un manquement même corrigé, afin de disposer d’un titre juridictionnel constatant solennellement la violation du droit communautaire à un moment donné, opposable à l’administration ou au juge lorsqu’ils voudront engager la responsabilité de l’Etat du fait de la violation du droit communautaire.
La valeur contraignante des arrêts de manquement a longtemps été discutée. Ils semblent n’avoir qu’une valeur constatatoire, et n’être donc pas contraignant pour l’Etat, mais à la lecture de l’art.228CE, on constate qu’ils ont autorité de la chose jugée : l’Etat condamné est tenu de mettre sa législation en conformité, étant entendu que l’arrêt lie aussi bien l’Etat législateur que l’Etat puissance publique.
B/ Les astreintes et les sommes forfaitaires imposées aux Etats.
Un Etat qui ne respecte pas un arrêt constatant un manquement, commet un manquement sur manquement. Dans un tel cas, jusqu’en 1992, la Commission pouvait activer une nouvelle procédure afin que la CJCE constate que l’Etat condamné n’avait pas pris les mesures imposées par l’arrêt. Le recours en manquement perdait donc son efficacité si un Etat refusait d’appliquer un arrêt de la CJCE.
Le traité de Maastricht a modifié l’art.171CE, qui prévoit désormais qu’un Etat qui ne respecte pas un arrêt de manquement peut être condamné par la CJCE, sur demande de la Commission, au paiement de sommes forfaitaires ou d’astreintes. Le traité d’Amsterdam maintient le mécanisme au nouvel art.228CE. Dans une communication de 1993, la Commission s’est prononcée en faveur des astreintes prononcées par jours de retard dans l’exécution de l’arrêt constatant un manquement non corrigé.
C/ L’action en responsabilité devant les Etats membres pour violation du droit communautaire.
CJCE, 19/11/1991 Francovich : la victime du préjudice résultant de la violation du droit communautaire par une norme nationale, a un droit à réparation.
· L’engagement de responsabilité de l’Etat législateur : ni le juge administratif ni le juge judiciaire n’ont défini cette responsabilité. Une responsabilité pour faute est difficile à concevoir : ce devrait être une responsabilité sans faute bien que du fait d’un acte illégal.
· L’hypothèse de l’engagement de responsabilité de l’Etat puissance publique : CE, 1992 Rothmans admet la responsabilité de l’Etat puissance publique pour faute simple du fait des dommages résultant de la violation du droit communautaire par un acte administratif.
Þ La CJCE a posé le principe général d’une responsabilité de l’Etat sans préjuger du régime applicable. Néanmoins, le principe du traitement national interdit aux Etats d’instaurer un régime de responsabilité pour violation du droit communautaire plus complexe que celui pour violation du droit national.