Section 1 : L’effet relatif du contrat.
En principe, le contrat n’a pas d’effet obligatoire vis-à-vis des tiers, car nul ne peut être engagé par un acte auquel il n’est pas partie. Exceptionnellement, un contrat peut avoir un effet obligatoire sur des personnes autres que les parties : la seule véritable exception est constituée par la stipulation pour autrui.
§1 : Le principe de l’effet relatif.
L’article 1165 du code civil dispose que « les conventions n’ont d’effets qu’entre les parties et ne nuisent ni ne profitent aux tiers ». Ce principe est longtemps apparu comme la conséquence logique du principe d’autonomie de la volonté : la volonté des parties ne peut créer d’obligations qu’entre elles, car on ne peut être créancier ou débiteur que si on l’a voulu.
Les atteintes à ce principe se sont multipliées, et Savatier (1934) a parlé de « prétendu principe d’effet relatif ».
On s’interroge aujourd’hui sur les notions de parties et de tiers. Selon la conception retenue des parties à un contrat, le principe d’effet relatif varie. On ne peut plus considérer le contrat comme une bulle intéressant ses seuls auteurs en raison de la complexification des rapports sociaux et des figures contractuelles.
A/ La signification du principe de l’effet relatif.
Les effets obligatoires du contrat ne s’imposent qu’aux parties = le contrat ne peut ni nuire, ni profiter aux tiers. Il peut avoir des répercussions sur eux, mais ne peut ni créer d’obligations à leur charge ni indirectement de droits à leur profit. Le contrat ne peut ni rendre un tiers débiteur, ni le rendre créancier.
B/ La portée du principe : la distinction des parties et des tiers.
Le contrat ne crée d’obligations qu’entre les parties.
Conception classique : seules sont parties au contrat les personnes qui l’ont voulu. (notion étroite).
Deux présentations possibles : – les tiers sont tout ceux qui n’ont pas exprimé leur volonté. C’est donc une catégorie résiduelle et hétérogène : il est impossible de dégager une règle qui s’applique à tous les tiers.
– entre les parties et les tiers, on trouve des catégories intermédiaires de personnes qui ne sont plus tout à fait des tiers, mais pas vraiment des parties non plus.
Conception renouvelée : on a proposé d’élargir la notion de parties. L’intérêt de cet élargissement est de permettre de ne laisser subsister que deux catégories : les parties et les tiers.
1) La notion de parties.
a_ La conception étroite.
La notion de base : les parties sont les personnes qui ont voulu et conclu le contrat. C’était la traduction de l’idée que pour être tenu d’une obligation, il fallait l’avoir voulu. Le critère de cette conception étroite est donc la volonté.
Les personnes représentées sont assimilés aux parties : si la volonté de conclure le contrat existe pour les cas de représentation conventionnelle (contrat de mandat), elle n’existe pas dans la représentation légale (mineur,…).
Les successeurs des parties leur sont aussi assimilés = les ayants-cause universels ou à titre universel.
En principe, ils deviennent parties au contrat conclu par le défunt si ce contrat était en cours lors du décès : ils deviennent donc débiteurs ou créanciers à sa place (art. 1122 du code civil). Il s’agit de l’effet d’une règle successorale qui veut que « les héritiers continuent la personne du défunt » , et qui se produit en dehors de leur volonté d’être parties à ce contrat, même s’ils en ignoraient l’existence.
Exceptions : – il est possible de prévoir dans le contrat que la mort de l’une des parties met fin au contrat.
– les contrats conclus intuitu personae prennent fin, sans qu’il soit utile de le préciser dans une clause, à la mort de l’une des parties. Ex : contrat de mandat, de travail,…
Dans la conception classique, sont parties au contrat les personnes qui l’ont conclu soit personnellement, soit par l’intermédiaire d’un représentants, et leurs successeurs.
b_ La conception large.
La proposition : pour Ghestin, la notion de parties doit inclure toutes les personnes liées avec leur consentement effectif par les effets obligatoires du contrat. Cette définition englobe les parties au moment de la formation du contrat (directement ou représentées) et les parties au moment de l’exécution du contrat = des personnes qui étaient initialement des tiers mais qui ont acquis la qualité de parties au stade de l’exécution (hypothèses des héritiers ou de la personne ayant conclu une cession de contrat avec l’une des parties). La qualité de partie repose donc sur le critère de la volonté de se soumettre à l’effet obligatoire du contrat. Corrélativement, sont donc des tiers toutes les personnes liées par les effets du contrat même si elles n’y ont pas consentis. Dans le cas d’une cession légale de contrat, le cessionnaire resterait un tiers.
La critique : pour Aubert, cette conception élargie consacre des distorsions de qualification difficilement explicables. Elle aboutit à opposer des situations de droit semblables : suite à une cession conventionnelle, le cessionnaire devient partie car il l’a voulu ; suite à une cession légale, le cessionnaire reste un tiers faute d’y avoir consenti. Or, ils sont tous les deux soumis à la force obligatoire du contrat postérieurement à sa conclusion.
Deux déductions possibles : – la distinction proposée est inopportune : on revient à une conception classique.
– on déduit des critiques que cette nouvelle conception élargie de la notion de partie est juste dans son principe, mais discutable dans ses critères. Elle ne va pas assez loin dans l’abandon d’une conception strictement volontariste du contrat. Toutes les critiques d’Aubert tombent si on ne se focalise pas exclusivement sur la volonté comme critère de la notion de partie au contrat.
La nouvelle proposition : à côté de la volonté, la loi tient aujourd’hui une grande place dans le contrat : le juge ou la loi greffent de nouvelles obligations au contrat, en plus de celles qui ont été voulues par les parties. La force obligatoire n’est plus fondée sur la volonté mais sur la loi.
Il est donc possible d’admettre que l’on puisse être partie au contrat par l’effet de sa volonté, ou par l’effet de la loi. Les parties au moment de la formation : – par l’effet de leur volonté : les personnes qui ont conclu le contrat soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant conventionnel (mandat,…).
– par l’effet de la loi : les personnes légalement représentées sans qu’il y ait volonté de leur part (mineur, majeur incapable,…)
Les parties au moment de l’exécution : – par l’effet de leur volonté : la personne substituée à l’une des parties par l’effet d’une cession conventionnelle de contrat.
– par l’effet de la loi : les successeurs (loi successorale) et les personnes substituées à l’une des parties par l’effet d’une cession légale du contrat initial.
La réponse de Ghestin : un seul critère de la qualité de parties est maintenu = celui de la volonté. La qualité de parties est réservée aux « personnes qui ont conclu le contrat par un accord de volontés ou qui ont acquis le droit de le modifier ou d’y mettre fin par un autre accords de volontés ». Il propose de réformer l’art. 1134 : « les conventions légalement formées tiennent lieu de lois à ceux qui les ont faites, et à ceux qui leur sont assimilés ou substitués ».
2) La notion de tiers.
a_ La conception classique.
Elle distingue les : – véritables tiers = les personnes totalement étrangères au contrat et aux parties, qui n’ont donc aucun lien de droit avec elles (penitus extranei) = catégorie résiduelle qui exclue les parties et la catégorie suivante.
– personnes qui ne sont pas vraiment tiers : une catégorie intermédiaire de personnes pas parties au contrat, mais pas entièrement étrangères à celles-ci = créanciers chirographaires et ayants-cause à titre particulier.
b_ La conception renouvelée.
Elle permet d’inclure la catégorie intermédiaire dans celle des tiers.
Sera tiers toute personne qui n’est pas soumise à l’effet obligatoire du contrat par l’effet de sa volonté ou de la loi : on trouve : – les penitus extranei.
– les créanciers chirographaires de l’une des parties. Ils disposent seulement d’un droit de gage général (ils ne sont pas munis de sûreté) sur le patrimoine de leur débiteur (art. 2092 du code civil). Ils sont indirectement concernés par les contrats conclus par leur débiteur dans la mesure où ils modifient son patrimoine. Ces contrats ne sont que des faits pour les créanciers chirographaires et leur sont donc opposables. Mais, ils demeurent des tiers car ces contrats ne vont produire aucun effet obligatoire entre eux : ils ne sont pas liés par ces contrats.
– les ayants-cause à titre particulier de l’une des parties : ce sont les personnes qui ont acquis un droit ou un bien de l’un des contractants. Après la vente d’un fonds de commerce, l’acquéreur de ce fonds le revend à un tiers qui est son « ayant-cause à titre particulier ».
En principe, cet ayant-cause n’est pas tenu d’exécuter le contrat conclu par son auteur avant la transmission, car il n’est qu’un tiers vis-à-vis des obligations que son auteur lui a transféré.
La conception classique admet une limite quand le contrat conclu antérieurement à la revente du bien, est constitutif de droit réel. Ex : le nouveau propriétaire d’un terrain ne pourra pas remettre en cause la servitude de passage consentie sur ce terrain et devra respecter l’engagement pris par le précédent propriétaire. L’ayant-cause à titre particulier doit respecter le droit réel, non pas parce qu’il est soumis à l’effet obligatoire du contrat précédent, mais parce que ce contrat et le droit réel qu’il a créé lui sont opposables. Il reste tiers, mais le contrat lui est opposable.
CCL : seront tiers au contrat : – les personnes non soumises à son effet obligatoires, mais auxquelles le contrat est seulement opposable (penitus extranei, créanciers chirographaires, et ayant-cause à titre particulier).
– les personnes soumises à l’effet obligatoire du contrat alors qu’elles ne l’ont pas voulues et que la loi ne le prévoit pas. Pour elles, il y aura une vraie exception au principe d’effet relatif : il s’agit des bénéficiaires des stipulations pour autrui.
Section 2 : L’opposabilité du contrat.
§1 : La règle de l’opposabilité du contrat.
Les droits réels sont opposables erga omnès.
Les droits personnels (rapports d’obligation) sont traditionnellement présentés en fonction de leur caractère obligatoire. Mais l’obligation et le contrat sont tout de même opposables.
A/ Le contrat opposable aux tiers.
1) Les contrats ayant fait naître un droit réel.
Le contrat constitutif de droit réel est opposable aux tiers : l’une des parties peut s’en prévaloir contre eux. Ils doivent le respecter = personne ne peut porter atteinte à un contrat de vente en prétendant ignorer la transmission. Il s’agit plus de l’inopposabilité du droit réel que du contrat.
2) La responsabilité du tiers complice de la violation d’une obligation contractuelle.
Les tiers ne peuvent pas prétendre ignorer un contrat qui aurait fait naître des créances. Il ne peuvent conclure avec le débiteur des contrats incompatibles avec un premier contrat, c’est-à-dire qui empêcherait le débiteur de bien exécuter ce premier contrat. Sinon, il se rend complice de la violation d’une obligation contractuelle, à condition qu’il ai connu l’existence du contrat précédent. L’existence de ce premier contrat lui est donc bien opposable.
B/ Le contrat est opposable aux tiers.
Ils peuvent en invoquer l’existence ou l’inexécution, qu’ils peuvent prouver par tous moyens (pour eux = un fait).