Origines purement privées : après la deuxième guerre mondiale, de nombreux courants réunis par la volonté d’unifier l’Europe se sont formés. Churchill avait déjà souhaité cette union en 1946 en lançant l’idée des Etats-Unis d’Europe.
Dès 1947, l’Union Européenne des Fédéralistes lance un appel pour la convocation d’état généraux européens, ce qui entraînera la réunion du Comité International de Coordination des Mouvements pour l’Unité Européenne, chargée de préparer un congrès de l’Europe tenu à La Haye du 8 au 10/5/1948. L’objectif est de démontrer l’ampleur de la volonté d’union européenne, et de formuler une recommandation pour sa réalisation. Ce congrès n’est pas une réunion intergouvernementale, les états n’y participant pas, même si des personnalités y assistent, dont Churchill. Le contexte était favorable à l’institutionnalisation de l’Europe, car dans l’intervalle entre le congrès et la création du Conseil de l’Europe, l’UO et l’OECE ont été créées.
Les états prennent la relève lorsque la France et la Belgique saisissent le Conseil Consultatif des Ministres des affaires étrangères de l’UO et proposent la création d’une assemblée parlementaire européenne. Les négociations, qui ont lieu dans le cadre de l’UO sous l’égide du Comité pour l’Etude et le Développement de l’Unité Européenne, sont marquées par un clivage. Les britanniques préféreraient une organisation de simple coopération, c’est à dire une organisation intergouvernementale avec une assemblée dépendante des états (composée des délégués des exécutifs) dénuée de tout pouvoir de décision. Les français et les belges souhaitent une organisation indépendante des états avec une assemblée représentant l’opinion publique européenne, composée dans un premier temps de membres des parlements de chaque état, puis de membres élus directement. Cette confrontation a bloqué un moment les pourparlers, puis les britanniques, isolés, ont acceptés un compromis : l’assemblée parlementaire est à caractère consultatif. Il s’agit d’une innovation majeure du Conseil de l’Europe, car cette assemblée introduit des éléments parlementaires dans l’administration internationale, habituellement composée de diplomates et fonctionnaires agissant d’après les instructions de leurs gouvernements.
L’assemblée du Conseil de l’Europe est composée de membres des parlements nationaux agissant à titre individuel, ce qui lui permet de s’exprimer au nom de l’opinion européenne et donc d’exercer une influence sur les représentants des gouvernements. Ce compromis a été suivi de l’adoption du statut constitutif par le Traité de Londres du 5/5/1949, qui expose dans un préambule des objectifs généraux en vue desquels il a été créé = les valeurs communes aux états membres (valeurs spirituelles et morales qui sont le patrimoine commun des peuples) à l’origine des principes de liberté individuelle, politique et de prééminence du droit = fondement de toute démocratie véritable.
Le préambule affirme aussi que le Conseil de l’Europe a pour but de réunir les états démocratiques et lui fixe pour objectif de favoriser le progrès social et économique (but commun à d’autres associations traduit par l’élaboration d’une Charte Sociale Européenne), et de réaliser une union plus étroite entre ces états. Strasbourg a été choisi comme ville du siège du Conseil de l’Europe car elle symbolise la réconciliation franco-allemande, est au centre géographique de l’Europe, et marque un choix symbolique d’un point de vue culturel (réunion des civilisations françaises et allemandes en Alsace). Le drapeau (repris plus tard par les communautés européennes) est bleu à couronne de 12 étoiles (image de la perfection et de la plénitude).
Section 1 : Le conseil de l’Europe : une coopération politique.
§1 : Les membres du Conseil de l’Europe.
A/ Les conditions d’admission.
Elles cherchent à respecter la souveraineté des états fondateurs en leur laissant le droit de contrôler l’accès à l’organisation et d’imposer aux autres états des conditions d’admission qui assurent le respect de la raison d’être de l’institution.
1) La procédure d’admission.
Tout membre du Conseil de l’Europe reconnaît le principe de la prééminence du droit, en vertu duquel toute personne placée sous la juridiction doit jouir des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et s’engage à collaborer sincèrement et activement à la poursuite du but défini au chapitre premier (article 3 du statut). Tout état européen considéré capable de se conformer aux dispositions de l’article 3, et comme en ayant la volonté, peut être invité par le comité des ministres à devenir membre du Conseil (article 4). Seules les démocraties pluralistes peuvent donc en devenir membre. Les droits visés de l’article 3 seront ceux énumérés par la convention de 1950. Le critère géographique est d’être un état européen.
Cette procédure montre le caractère peu intégré de l’institution : les états membres sont maîtres de la procédure avec prééminence du comité des ministres en la matière. Celui-ci invite un état à devenir membre dès lors qu’il remplit les conditions de fond, puis l’assemblée émet un avis à la majorité des 2/3 des voix exprimées (pouvoir consultatif). Le Comité des ministres détient le pouvoir de décision = les états membres décident du sort des états candidats = cooptation.
2) La sanction du non respect des conditions.
Si un état ne remplit plus les conditions de fond, il peut décider de lui-même de sortir du Conseil (La Grèce des colonels en 1969, revenue en 1974 après le retour de la démocratie). Les sanctions peuvent être la suspension (éviction temporaire) ou l’exclusion (éviction définitive). L’initiative de son prononcé revient au comité des ministres, qui peut être saisi par un état ou groupe d’états, et par une recommandation de l’assemblée. L’éviction est progressive : elle débute par une suspension du droit de représentation, puis le comité des ministres invite l’état à se retirer. En cas de refus, il prononce l’exclusion. La Turquie a été suspendue en 1981 suite à un coup d’état, puis réadmise en 1984. La procédure est souvent avortée, les états craignant des rétorsions diplomatiques et économiques : cette timidité des états dans les condamnations a poussé l’assemblée à exercer ce rôle, alors qu’elle n’en a pas le pouvoir = les condamnations ne sont que des dénonciations publiques, équivalentes à des condamnations morales de l’état.
B/ L’élargissement du Conseil de l’Europe.
1) Les états fondateurs.
Ils sont 10 = les cinq de l’Union Occidentale (France, GB, Belgique, Luxembourg, Pays-Bas), plus l’Irlande, l’Italie, le Danemark, la Norvège et la Suède. L’Espagne et la Grèce ont été écartées en raison de la nature non démocratique de leurs régimes.
2) Le Conseil de l’Europe aujourd’hui.
Une première vague d’élargissement a eu lieu, avec l’entrée de la Grèce, de la Turquie (1949), de l’Islande (1950), de la RFA (1951), de l’Autriche (1956), du Portugal (1976),… puis une deuxième vague après l’effondrement du bloc soviétique, avec les états de l’Est qui se sont empressés de rejoindre le Conseil de l’Europe (= un label « démocratie », et un pied dans l’Union Européenne) : Hongrie, Tchécoslovaquie, Pologne, Bulgarie,…
Ces élargissements témoignent du succès de l’institution, mais posent des problèmes liés à l’adaptation de ses moyens, et de ses structures,…
§2 : Les institutions du Conseil de l’Europe.
A/ Le comité des ministres.
1) La composition.
Il s’agit d’un organe intergouvernemental composé des ministres des affaires étrangères de chaque état membre, ce qui est censé conférer une autorité plus grande à ses décisions. Dans la pratique, les ministres des affaires étrangères se font souvent remplacer par un autre membre du gouvernement. Il n’y a que deux réunions par an à l’échelle ministérielle, avec un quorum requis pour les délibérations de 2/3 des membres. La présidence est assurée par un des ministres, avec le système de la rotation afin d’assurer l’égalité entre les états.
Les modes de votation illustrent le caractère coopératif de l’institution : l’unanimité, qui préserve la souveraineté des états, est requise pour toutes les questions importantes et les résolutions recommandant des politiques communes. En dehors de ces cas, le vote est acquis à la majorité simple pour les questions de procédure, et à la majorité des 2/3 pour toutes les autres questions. Cette procédure d’élaboration est peu favorable à la rapidité et à la communautarisation du comité, car dans la pratique, on recherche le ralliement de tous les membres sur une position de compromis. Cette coutume est destinée à épargner au Comité d’avoir à prendre des décisions désagréables à certains états, et à renforcer l’harmonie intergouvernementale. L’abstention d’un état pouvant empêcher la formation de l’unanimité, et donc pouvant paralyser le processus de décision, la technique des accords partiels s’est développée = avant le vote, les états décident que l’abstention ne vaut pas veto, mais dégage l’état abstentionniste de l’application du texte.
Les ministres n’étant pas assez disponibles, ou n’ayant pas toujours les compétences nécessaires pour préparer les décisions à caractère technique, il est souvent fait appel à des organes subsidiaires, tels que des comités d’expert ou des comités directeurs. Ils peuvent aussi se faire remplacer par des délégués = des représentants permanents des états auprès du Conseil de l’Europe, tout ceci permettant des réunions plus fréquentes. Les ministres spécialisées dans les domaines de la justice, de la culture et de l’agriculture ont pris l’habitude de se réunir, ce qui renforce la coopération intergouvernementale.
2) Les attributions.
Ses compétences sont très larges, puisqu’il est chargé de voir quelles sont les mesures nécessaires pour réaliser une union plus étroite entre les états membres.
Sur l’initiative de l’assemblée ou du secrétaire général, il examine les mesures propres à assurer le but du Conseil au niveau des rapports entre état et de l’organisation interne du Conseil (admission d’un nouveau membre).
De sa propre initiative, il doit rendre possible la conclusion d’accords, de conventions,… de politique commune et demander aux états la suite qu’ils ont donné à ces recommandations. Il adopte le budget du Conseil, et propose un candidat au poste de secrétaire général.
Dans la pratique, il ne représente qu’un lieu de concertation entre les états, un moyen de rapprocher leurs positions. Ses pouvoirs sont limités, car il ne peut se substituer aux états ni rendre obligatoire ses positions communes = tout repose sur la bonne volonté des états membres. C’est en cela qu’il assure une coopération politique au sein du Conseil.
B/ L’assemblée consultative.
Ce n’est pas une assemblée parlementaire, car elle n’est pas représentative des peuples (pas d’élection directe par les citoyens des états membres) et ses pouvoirs ne sont pas ceux d’un parlement. En 1974, elle s’est autoproclamée assemblée parlementaire sans que ses attributions n’en soit modifiée.
1) La composition.
Elle comprend 286 sièges de titulaires et autant de suppléants, repartis entre les états membres : le nombre de représentants accordé à chaque état est pondéré en fonction de sa population, chaque état disposant au moins de 2 représentants (maximum de 18), ce qui revient à accorder une plus grande importance aux petits états. Le but est d’assurer la représentation de tous les états et de tous les partis démocratiques.
De 1949 à 1951, les représentants étaient nommés conformément à une procédure déterminée par chaque gouvernement, ce qui permet d’exclure des éléments indésirables, de nommer d’anciens chefs d’état, et donne au gouvernement un droit de regard sur la composition de l’assemblée et son activité. Suite aux fortes critiques, deux idées ont été avancées. La première, favorable à l’indépendance de l’assemblée, permettait aux citoyens des états membres d’élire directement les membres de l’assemblée (forte légitimité, et expression directe de l’opinion européenne) ; la seconde, plus favorable à l’idée de coopération, avec une élection par les parlements nationaux (les membres ont une sorte de mandat parlementaire, et sont émancipés du contrôle gouvernemental), a été retenue par le Conseil, à la condition que les états puissent choisir entre l’élection au sein des parlements nationaux (système choisi en France, Allemagne, Italie) et la désignation par les partis politiques proportionnellement à leur poids dans les parlements nationaux. La GB a adopté un mode différent, dans lequel les représentants sont désignés par le gouvernement après délibération avec les partis politiques.
L’organisation de l’assemblée synthétise les traditions parlementaires des états membres : système d’incompatibilité (avec une fonction de membre du Conseil des ministres, ou du secrétariat) ; réunion en session (une semaine en janvier, avril, juin et septembre) ; bureau de l’assemblée (président et vice-présidents) ; délégations nationales (regroupement des représentants d’un état) ; groupes politiques (en fonction des affinités politiques et non pas des nationalités = forte indépendance vis-à-vis des états, surtout que le vote n’a pas lieu par groupe national) ; une commission permanente (continuité de l’assemblée hors session) ; une dizaine de commissions spécialisées (questions politiques, agricoles,…) ; un groupe de travail (assure la liaison entre le Conseil de l’Europe et les parlements nationaux) ; un comité mixte (créé en 1950, il comprenait des membres du Comité des ministres et de l’assemblée en nombre différent, puis il a évolué en organe paritaire. Il a pour mandat le maintien de bons rapports entre les deux organes, la coordination de leurs activités, et la proposition de projets d’ordre du jour des organes).
2) Les attributions.
L’article 23 du statut stipule que l’assemblée consultative peut délibérer et formuler des recommandations sur toute question répondant aux buts et rentrant dans la compétence du Conseil de l’Europe. L’assemblée peut intervenir par des recommandations adressées au Conseil des Ministres (leur mise en œuvre relève des gouvernements), des résolutions (décisions sur des questions de fond dont la mise en œuvre est de sa compétence, ou expression d’un point de vue n’engageant que sa responsabilité), des avis, des directives adressées aux organes subsidiaires sur des questions de procédure, ou des propositions adressées aux membres sur l’adoption de conventions internationales.
Elle intervient dans 4 domaines principaux : son organisation interne (adoption du règlement intérieur, création des commissions) ; adoption de nouveaux membres ; élection du secrétaire général, des juges à la cour ; agit en liaison avec le comité aux moyens de recommandations et de questions.
Elle constitue une tribune politique où vienne s’exprimer des personnalités extérieures au Conseil de l’Europe. Ses membres s’expriment à titre individuel, n’engagent qu’eux et sont donc plus libres, plus à même de formuler des propositions pour renforcer l’unité européenne.
C/ Le secrétaire général.
1) Le statut.
Il est élu par l’assemblée sur proposition du Comité des ministres, de même que ses adjoints. A l’origine, il était choisi parmi les fonctionnaires diplomatiques d’un état (montre son rôle uniquement administratif), mais aujourd’hui, il y a une tendance à le choisir parmi des personnalités politiques de haut niveau, ce qui montre que son rôle a évolué vers une mission plus politique.
2) Les attributions.
L’assistance administrative : il assure la bonne marche du service, est responsable du recrutement du personnel, assure l’entretien des locaux, et représente le Conseil en justice.
L’assistance juridique auprès des organes du conseil : il établit les liaisons entre le comité et l’assemblée, répartit les travaux entre les comités d’experts, dresse la liste des décisions,…
Il est présent avec voie consultative aux réunions du comité des ministres, de l’assemblée et des comités techniques
Il établit chaque année un rapport faisant le bilan sur la coopération européenne, présenté à l’assemblée, et qui permet au secrétaire général de faire des propositions sur le travail du Conseil de l’Europe. Cela permet au secrétaire général d’acquérir un rôle d’impulsion politique. Actuellement, seuls ses homologues des nations unies et de l’OTAN exercent une influence comparable dans une organisation internationale.
Section 2 : Le Conseil de l’Europe : une coopération dans la protection des Droits de l’homme.
Cette protection est assurée par la Convention de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales (CEDH), signée à Rome le 4/11/1950, et qui demeure le modèle le plus accompli de protection internationale des droits de l’homme (il est souvent qualifié de modèle révolutionnaire par rapport aux conceptions classiques du droit international).
Dans la limite des droits qu’elle définit, la CEDH instaure un contrôle supranational des organes étatiques à l’initiative des individus.
§1 : Les droits protégés.
Ils sont énumérées dans le titre premier et dans les protocoles additionnels. Ce sont surtout des droits individuels (civils et politiques). Les droits sociaux feront l’objet de la Charte Sociale du Conseil de l’Europe, et les droits procédants des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes ont été exclus du domaine de la Convention car ils sont attachés à la collectivité des hommes et non à l’individu. Ces droits issus de droit des peuples ont été jugés trop rattachés aux rapports entre les états.
A/ Les libertés publiques.
1) Les droits fondamentaux de la personne humaine.
Ils sont intangibles, essentiels et accordés à toute personne humaine.
Le droit à la vie : affirmation du droit des êtres humains à l’existence. L’article 2 de la CEDH précise qu’il est protégé par la loi, mais cette disposition est difficile à interpréter car elle ne définit pas les destinataires du droit, ni ce qu’est la vie. La jurisprudence européenne ne s’est pas prononcée , pour laisser à chaque état le soin de réglementer l’avortement en fonction de sa culture. Cet article fait peser sur l’état une obligation active et lui impose de garantir ce droit par la loi. La CEDH accepte la peine de mort, mais le protocole n° 6 (1983) interdit la peine capitale en temps de paix. Elle n’accepte la mise à mort que si elle le résultat d’un recours à la force absolument justifié.
L’interdiction de la torture, des traitements inhumains ou dégradants : l’article 3 de la CEDH protège l’intégrité et la dignité de la personne. Elle distingue 3 notions en fonction de l’intensité de la souffrance infligée.
La torture a été définie par l’arrêt de la CEDH du 18/1/1978 Irlande c. RU par l’intensité des souffrances (graves et cruelles), l’intention délibérée d’infliger ces souffrances et le but déterminé de la torture.
Le traitement inhumain (arrêt Tyrer du 25/4/1978) est un acte provoquant volontairement des souffrances mentales et physiques d’une intensité particulière. Les interrogatoires très approfondis des forces armées britanniques en Irlande du Nord, ou l’isolement cellulaire total du détenu (aboutissant à une destruction de la personnalité),… sont reconnus comme tels par la cour.
Le traitement dégradant humilie grossièrement l’individu devant autrui : discrimination raciale, discrédit social (même involontaire) qui résulte de l’application d’une réglementation désuète,… Ex: les châtiments corporels dans les écoles,…
Ces dispositions ont été beaucoup étendues par la Cour Européenne par le procédé de la protection par ricochet, qui permet d’étendre le champ matériel de la CEDH dans des hypothèses où la convention présente des lacunes. Elle bénéficie surtout aux étrangers, car si la police des étrangers continue de relever de la compétence discrétionnaire des états (souveraineté des états), la cour a admis que les mesures d’expulsion, d’extradition,… sont susceptibles de constituer des traitements dégradants dès lors qu’elles sont mises en œuvre dans des conditions particulières.
Prohibition de l’esclavage, de la servitude et du travail forcé ou obligatoire (article 4 de la CEDH) : l’esclavage est l’état d’un individu sur lequel s’exerce le droit de propriété ; la servitude est un état voisin de l’esclavage mais sans le droit de propriété ; le travail forcé ou obligatoire est l’état exigé d’un individu sous la menace d’une peine. La cour européenne vérifie concrètement si le travail exigé est un travail forcé (refus de considérer comme un travail forcé l’obligation pour un avocat stagiaire d’assurer gratuitement la défense d’un détenu). La CEDH énumère des cas qui ne sont pas dans le domaine de cette interdiction : travail d’un détenu, service militaire, service d’un objecteur de conscience, service requis en cas de calamité naturelle.
Le droit à la liberté et à la sûreté (article 5 de la CEDH) : ce droit protège la liberté physique de la personne, sa liberté et sa sûreté contre les arrestations et détentions arbitraires. Cinq cas de privation de liberté autorisée sont cités par la cour = détention ou arrestation en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire quand existe des raisons plausibles de soupçonner qu’une infraction a été commise, ou quand existe des motifs raisonnables de croire à la nécessité d’empêcher la commission d’une infraction ou la fuite après l’infraction ; après une condamnation par le tribunal compétent ; détentions régulières de mineurs pour l’éducation surveillée ou pour le traduire devant le juge ; détentions régulières de personnes susceptibles de propager une maladie contagieuse (idem pour les vagabonds, aliénés et toxicomanes) ; la détention ou arrestation régulière d’une personne pour l’empêcher d’entrer sur le territoire, l’extrader ou l’expulser.
Trois garanties sont applicables à toutes personnes, y compris les détenus (sous peine de droit à réparation) : le droit d’être informé dans le plus court délai et dans une langue qu’il comprend, des raisons de son arrestation ; le droit d’être traduit aussitôt devant un juge qui doit statuer sur la légalité de son arrestation ; droit à un procès équitable.
La liberté d’aller et de venir : elle est posée par les protocoles 4 et 7, et signifie le droit de se déplacer dans le territoire étatique, de choisir le lieu de résidence sur le territoire, et de quitter le territoire. Cette disposition est interprétée rigoureusement par la cour, qui considère que seuls les nationaux et les étrangers qui se trouvent régulièrement sur le territoire peuvent s’en prévaloir.
La protection de la vie privée et de la vie personnelle (articles 8 et 12 de la CEDH et protocole n°7) : la vie privée et la vie personnelle supposent que l’autorité publique s’abstienne de toute ingérence. La CEDH et les organes européens sont plus exigeants, car en plus de cet aspect passif, l’état doit assumer une obligation positive, c’est à dire intervenir, en modifiant sa législation par exemple.
La cour européenne a dégagé 3 aspects de la vie privée : – le droit au secret de la vie privée = droit de vivre à l’abri des regards étrangers. Il renvoie aux secrets du domicile et des opinions privées (correspondance, écoutes téléphoniques, …)
– le droit à la liberté de la vie sexuelle. Chaque individu peut établir et entretenir des relations affectives avec d’autres êtres humains. Ce droit trouve son fondement dans la tolérance et le pluralisme qui veulent que chacun mène la vie sexuelle de son choix en conformité avec son identité profonde même si cela doit heurter les autres. Cette tolérance a amené la cour à juger dans l’arrêt Norris du 26/10/1988 que l’accomplissement d’actes homosexuels en privé entre adultes consentants ne saurait être réprimé pénalement.
– le droit au mariage. L’article 12 de la CEDH reconnaît qu’à partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille selon les lois nationales régissant l’exercice de ce droit.
La vie familiale est protégée par l’article 8 de la CEDH, qui stipule que le droit au respect de la vie familiale fait peser sur l’état l’obligation d’agir de manière à permettre aux individus de mener une vie familiale normale et des relations affectives. Pour la Cour européenne, le mariage n’est pas un critère de la famille, et ce qui compte est l’effectivité de la vie familiale. Ce droit est très marqué en matière de regroupement familial : les enfants d’un travailleur immigré doivent pouvoir le rejoindre. Ce principe a été repris dans l’arrêt d’assemblée du Conseil d’état Groupe d’Information et de Soutien aux Travailleurs Immigrés du 8/12/1978. Ce droit a aussi été invoqué en matière de filiation naturelle et légitime dans la décision Marc du 13/6/1979 = le champ d’application de l’article 8 de la CEDH protège la filiation naturelle, car la CEDH ne distingue pas entre les familles légitime et naturelle, interdit toute discrimination fondée sur la naissance, et définit la famille par des relations de fait nouées entre ses membres.
2) Les droits relatifs à une bonne administration de la justice.
Le droit à une bonne organisation et à un bon fonctionnement de la justice : il contient 3 principes.
· le principe de légalité des délits et peines : tout délit, toute peine doit être définie par la loi.
· le principe de non rétroactivité des lois pénales plus sévères, le droit au double degré de juridiction, le droit d’une personne victime d’une erreur judiciaire à être indemnisé, le droit à un recours effectif devant une instance nationale, le droit d’être jugé dans un délai raisonnable (le caractère raisonnable s’apprécie en fonction du comportement du requérant, des autorités et de la complexité de l’affaire : la France a été condamnée sur ce point par l’arrêt H. contre France du 24/10/1989).
· le principe de la publicité de la procédure pour garantir les justiciables de la justice secrète des régimes autoritaires.
Le droit à un procès équitable : chaque justiciable y a droit, en cas de contestation sur ses droits et obligations civiles ou d’accusation pénale. Ce droit implique le respect des droits de la défense, du principe du contradictoire, de la présomption d’innocence. Tous ces aspects sont entendus largement par la Cour, qui en a déduit que l’accusé, s’il ne comprend pas la langue, doit pouvoir bénéficier de l’assistance gratuite d’un interprète. S’il n’en a pas les moyens, il doit pouvoir bénéficier d’une aide juridique gratuite. Ce droit, qui est de nature civile, tend à prendre des implications économiques et sociales avec l’interprétation de la cour.
3) Les droits des citoyens.
Ils ont pour fondement la tolérance (accepter les convictions d’autrui dès lors qu’est en cause la morale et la vie démocratique) et le pluralisme (respect par les autorités publiques de la diversité des convictions religieuses, philosophiques, politiques et morales).
La liberté des idées personnelles : 3 exemples de libertés.
· la liberté d’expression (article 10 de la CEDH). Pour la cour, cette liberté est un fondement de la vie démocratique. C’est le droit d’exprimer une opinion individuelle sans être inquiété, un droit d’informer quelqu’un, plus large que la liberté de la presse, car il assure la protection de la liberté de diffuser des faits bruts, du cheminement de l’information par tout moyen. Ce droit n’est pas absolu, car inclut des devoirs, responsabilité, et peut être réglementé ; mais la CEDH encadre ses limites qui doivent être nécessaires dans une société démocratique à la sûreté territoriale, la défense de l’ordre, la prévention du crime, la protection de la santé et de la morale. Ces réglementations doivent résulter de la loi.
Arrêt de la CEDH Handyside contre RU du 7/12/1976 : il ne peut exister de notion européenne uniforme de la morale = chaque état doit apprécier les limites à apporter à la liberté d’expression pour satisfaire aux exigences de la morale, et elle précise que son contrôle se borne à vérifier si les autorités nationales ont agis de bonne foi. Par l’arrêt Sunday Times contre RU du 26/4/1979, la CEDH change de position : elle apprécie les limitations à la liberté d’expression compte tenu des circonstances de l’espèce et de tout autre aspect relevant de l’intérêt public. Elle exerce un contrôle de proportionnalité de la limitation à la liberté d’expression = vérifie si la mesure prise par l’autorité nationale est adaptée aux risques encourus. La cour entend préserver au maximum la compétence des états dans leurs affaires internes, mais en même temps, son contrôle vise à préserver au maximum les libertés protégées par la CEDH.
· la liberté des convictions (article 9 de la CEDH). Elle concerne les libertés de la pensée, de conscience, de religion, le droit de changer de religion et de conviction, et le droit de pratiquer sa religion.
· la liberté éducative (protégée par le premier protocole) est la conséquence de la liberté de conviction. Elle signifie que l’éducation est une prérogative des parents (protection contre l’embrigadement organisé dans les régimes totalitaires) et que les parents doivent pouvoir éduquer leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses ou philosophiques. Cette liberté comprend deux aspects dégagés par la cour = le droit à l’instruction (chacun a droit de bénéficier des moyens d’instruction existants à un moment donné. Droit dégagé dans l’affaire Linguistique belge du 23/7/1968) et le pluralisme éducatif (traduit l’expression de la liberté de conviction des parents). Ainsi, par l’arrêt du 7/12/1976, la CEDH a retenu l’idée de l’obligation de l’état à ce que les connaissances figurant aux programmes scolaires soient diffusées de manière objective, critique et pluraliste, et impose un équilibre entre le droit de l’état à réglementer l’éducation dans l’intérêt de l’enfant, tout en respectant les droits des parents. Par l’arrêt Campbell & Cosans du 25/2/82, la cour a affirmé que les mesures disciplinaires relèvent de l’éducation (les sanctions visent à former la personnalité des enfants) et elle a annoncé que l’opposition aux châtiments est une conviction que l’état doit respecter, car elle touche ) l’intégrité de la personne.
Les libertés de l’action collective : elles se rattachent au pluralisme et sont, selon la cour européenne un élément essentiel de la vie politique et sociale (article 11 de la CEDH). Il y a 3 libertés = les libertés de réunion, d’association, et le droit syndical, qui est le droit d’adhérer à un syndicat de son choix, et d’en fonder un. Pour la cour, ce sont des droits mineurs, car la CEDH est davantage orientée vers las droits civils, individuels.
Le droit à des élections libres : il s’agit de l’expression du pluralisme politique, car il oblige l’état à adopter des mesures positives pour organiser des élections libres et démocratiques. Ce droit ne vise que les élections législatives, et ne donne pas de droit à la consultation populaire aux individus. La cour respecte l’autonomie des états, n’impose pas de mode de scrutin particulier, mais pose des principes directeurs concernant les élections : – il doit s’agir d’élections libres = elles imposent le SU.
– le scrutin doit être secret : vote dans un isoloir pour éviter les pressions sur les électeurs.
– organisation des élections à intervalle raisonnable.
Ce droit suppose la liberté de candidature, la liberté des partis politiques, et la liberté de choix électoral.
4) Le droit au respect des biens (article 1 du premier protocole).
Il est subdivisé en 2 = il garantit le droit de propriété et prévoit les conditions de privation. Les garanties du droit de propriété sont très larges : biens meubles et immeubles, corporels et incorporels. Les conditions de privation doivent avoir un but d’utilité publique, et être effectuées dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. Elle doit entraîner l’indemnisation de la personne privée de son bien.
Etendue des droits : certains sont intangibles, d’autres sont susceptibles de limitation, mais dès qu’un droit peut-être limité, la convention prévoit aussi les conditions de limitation ; les droits garantis par la convention et ses protocoles sont garantis à toute personne relevant de la juridiction (y compris les étrangers sur le territoire d’un état membre).
Méthode d’interprétation de la cour de la CEDH : le droit européen des droits de l’hommes a deux sources = une conventionnelle (la CEDH et ses protocoles) et une jurisprudentielle. La cour a aussi deux méthodes d’interprétation = une téléologique (en fonction du but et de l’objet de la convention = recherche de l’interprétation la plus propre à atteindre le but du traité) et une évolutive (volonté progressiste de sauvegarde des droits, et développement de ces droits, adaptation à l’évolution de la société).
Les principes directeurs qui guident le travail de la cour :
· Le principe d’effectivité = la cour recherche toujours à assurer l’effectivité des droits proclamés, c’est à dire a assurer concrètement (et non pas de manière théorique et illusoire) les droits proclamés par la CEDH. Cela la conduit à découvrir des principes accessoires à ceux annoncés par la Convention : le droit d’être assisté gratuitement par un avocat quand on n’en a pas les moyens. Ces droits accessoires ont très souvent un contenu économique ou social = la cour modifie la portée de la CEDH initialement limitée aux droits individuels à caractère civils et politiques. Ce soucis d’effectivité conduit aussi la cour à exiger des états un comportement positif = ils ne doivent pas simplement s’abstenir de porter atteinte au droit, mais tout faire concrètement pour que ces droits soient assurés. La cour est ainsi amené à donner une interprétation restrictive des limitations aux droits. Dans la logique de l’interprétation finaliste, cela revient à assurer la garantie du droit invoqué même quand ce droit est susceptible de limitations autorisées par la CEDH.
L’interprétation restrictive se fait par deux moyens : – la cour établit une hiérarchie formelle entre les droits, en distinguant entre les droits intangibles et les droits conditionnels. Les droits intangibles sont ceux auxquels l’état ne peut pas porter atteinte. Ils bénéficient à toute personne en tout lieu quelque soit les circonstances (droit à la vie, droit de ne pas être torturé, placé en esclavage, droit à la non rétroactivité de la loi pénale). Les droits conditionnels sont susceptibles à titre exceptionnel de non application temporaire au moyen de dérogations prévues par la CEDH.
– la cour énonce une clause générale d’ordre public valable pour les droits conditionnels. Cette clause autorise l’état partie à restreindre l’exercice d’un droit tout en le laissant subsister. Les restrictions au droit sont encadrées : elles doivent être prévues par la loi, et être nécessaires dans une société démocratique à la protection de l’ordre public. Ces trois critères (acte restrictif doit être une loi ; nécessité de restreindre ; objet de la restriction = protection de l’ordre public) sont soumis à un contrôle rigoureux, surtout la nécessité de la limitation. Ainsi, la cour a reconnu que la saisie de correspondance des détenus visait bien un but légitime, mais la saisie n’était pas nécessaire dans un état démocratique.
· Le principe de subsidiarité : il reconnaît aux états une certaine autonomie, puisqu’ils restent libres de choisir les mesures qu’ils estiment appropriés pour mettre en oeuvre la CEDH = la cour laisse aux états une certaine marge d’appréciation dans l’application de la convention. Ce principe s’explique par la volonté de respecter la diversité des cultures juridiques, des mentalités, des particularismes locaux, et par la proximité des états avec les individus (= les états ont une meilleure connaissance des conditions locales d’application de la convention).
B/ La CEDH et le droit français.
Ces rapports sont régis par l’article 55 de la constitution, qui fait prévaloir les traités internationaux sur la loi interne, dès lors que les traités ont été régulièrement ratifiés ou approuvés, publiés et sous réserve d’une application réciproque. La CEDH, qui a été adoptée en 1950 n’a été ratifiée par le France qu’en 1974, mais elle a été amputée de sa disposition principale qui permet le recours individuel. Il y avait trois obstacles à la ratification, à savoir qu’elle aurait obligé à modifier le code de procédure pénal en matière de garde à vue ; qu’il y avait un monopole de l’ORTF ; et que les autorités dénonçaient l’influence anglo-saxonne dans la formulation des règles du droit criminel.
La France a fini par ratifier la CEDH avec deux réserves : – le refus d’être lié par certaines dispositions du traité. La principale concerne l’article 15 de la CEDH qui autorise les états, en cas de guerre, de danger public à prendre des mesures dérogatoires à la CEDH. Dès qu’un état met en oeuvre cet article, il doit en informer le secrétaire général du Conseil de l’Europe. La réserve française signifie que dès que les conditions posées à l’article 16 de la constitution sont remplies, celles de l’article 15 de la CEDH le sont aussi, et que les pouvoirs du président de prendre les mesures exigées par les circonstances ne sauraient être limités en aucun cas par un organe du Conseil de l’Europe.
– une fois la convention ratifiée, elle bénéficie dans l’ordre interne du principe d’applicabilité directe et de primauté. Applicabilité directe = la convention peut être invoqué directement en droit interne par tout justiciable dès lors qu’elle est suffisamment précise pour être appliqué telle quelle et dès lors qu’elle engendre des droits et obligations aux particuliers. Crim. 30/6/1976 arrêt Glaeser-Touvier reconnaît l’applicabilité directe de la CEDH.
Primauté en droit interne : la convention l’emporte sur tout autre acte de droit interne. L’application de ce principe dépend du système constitutionnel de chaque état : l’article 55 de la constitution française admet la primauté du traité sur la loi interne. La mise en oeuvre de la primauté a été plus ou moins difficile selon les juridictions. Le conseil constitutionnel a refuser de contrôler la constitutionnalité d’une loi par rapport à un traité (arrêt IVG du 15/1/1975). La cour de cassation a reconnu la supériorité des traités sur les lois par l’arrêt J.Vabre du 24/5/1975 (arrêt Respino du 3/6/1975 pour l’application à la CEDH). Le conseil d’état a longtemps refusé de faire prévaloir tout traité sur une loi interne postérieure et contraire à un traité (arrêt Syndicat Général des fabricants de Semoule du 1/3/1968, et arrêt Arthur Martin du 27/3/1983 pour application à la CEDH), mais il a abandonné cette jurisprudence avec l’arrêt Nicolo du 20/10/1989, qui accepte la supériorité de tout traité sur une loi incompatible (postérieure ou antérieure au traité). Application à la CEDH par l’arrêt d’assemblée Conférence nationale des associations familiales catholiques du 21/12/1990 à propos de la loi de 1975 sur l’IVG.
Exemple des écoutes téléphoniques : le droit pénal français a longtemps interdit par principe ces écoutes, mais il ne s’agissait que d’une interdiction jurisprudentielle qui distinguait les écoutes administratives (procédure secrète car décidées par le directeur de Cabinet du Premier Ministre) et les écoutes juridiques (décidées par la chambre criminelle de la cour de cassation rattachées aux missions du juge d’instruction et aux modalités de l’instruction). L’ancien code ne prévoyant pas expressément les modalités d’écoute, les garanties offertes aux justiciables dépendaient de la seule jurisprudence car étaient définis au coup par coup par les arrêts de la cour de cassation. La CEDH arrêt Kruslin du 24/4/1990 a examiné la situation française au regard de la CEDH. M. Kruslin avait fait l’objet d’écoutes téléphoniques, à la suite desquelles il avait été condamné à 15 ans de réclusion criminelle. Il a fait un pourvoi en cassation, sur la base de l’illégalité des écoutes. La cour de cassation a appliqué la jurisprudence traditionnelle, et a estimé que les écoutes avaient une base légale car elles étaient pratiquées dans le respect des droits de la défense. M. Kruslin a donc saisi les instances européennes sur le point de savoir si les écoutes sont conformes à l’article 8 de la CEDH qui protège la vie privée (existence de base légale), et si l’acte qui autorise les écoutes est conforme aux exigences de la CEDH qui exige que les limitations au droit soient proportionnelles au risque encouru par l’intérêt public (qualité de la base légale). La cour a estimé que le mot loi devait être compris en son sens matériel, qui inclut la jurisprudence comme un aspect de la loi = il existe une base légale. Mais elle a estimé que la qualité de cette base légale était insuffisante, car imprécise (pas de définition des infractions donnant lieu à des écoutes, ni de durée), et que les garanties offertes aux individus dépendent des décisions successives des juridictions. Ces insuffisances ont entraîné la condamnation de la France à l’unanimité pour violation de l’article 8 de la CEDH. Le gouvernement français a retenu ce qui lui était favorable, à savoir que la jurisprudence au sens européen constitue une loi, et que les conditions posées par la CEDH peuvent être remplies par la jurisprudence. Le Garde des Sceaux a juste attiré l’attention des magistrats du siège sur cet arrêt. La cour de cassation a repris cette interprétation ministérielle de l’arrêt européen dans l’arrêt Bacha du 15/5/1990, mais le critère d’imprévisibilité demeurait. La France ne s’est conformé à la décision européenne que par l’adoption de la loi du 10/7/1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications.
C/ La CEDH et l’Union Européenne.
Le droit communautaire ne contient pas de déclaration des droits fondamentaux. La cour développer deux moyens pour y pallier.
· La garantie communautaire est plétorienne : la CJCE se sert de deux sources pour garantir les droits fondamentaux, à savoir le droit interne des états membres et la CEDH. La CJCE s’inspire des droits internes pour dégager des principes non écrits fondamentaux : dans l’arrêt Nold du 14/5/1974, la CJCE affirme que les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels les états membres ont coopéré ou adhéré peuvent également fournir des indications dont il convient de tenir compte. La première décision à faire expressément référence à la CEDH est l’arrêt Rutili du 28/10/1975 (limitation des pouvoirs de police des étrangers). L’ensemble de la CEDH est repris par la CJCE (sauf les droits intangibles) mais elle ne reprend les droits que sous forme de principes non écrits, de principes généraux du droit communautaire = la CEDH n’est pas incorporée telle quelle à l’ordre juridique communautaire. La protection des droits fondamentaux a évolué avec la signature des traités de Maastricht et d’Amsterdam. L’article F §2 du traité de Maastricht pose pour principe que l’Union Européenne respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la CEDH et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux états membres en tant que principes généraux du droit communautaire. Les communautés européennes n’adhèrent donc pas à la CEDH ; il n’y a pas toujours pas de liste explicite des droits protégés au niveau communautaire, mais c’est une affirmation solennelle que la CEDH est une source d’inspiration de la CJCE.
· Le traité d’Amsterdam consacre la place des droits fondamentaux dans la construction européenne : ce nouveau traité affirme que les droits fondamentaux fondent l’Union Européenne, et rend ces droits justiciables du contrôle de la CJCE = le contrôle de ces droits fondamentaux devient une condition d’adhésion à l’Union Européenne. Le traité prévoit qu’un état qui violerait gravement et de façon persistante ces droits pourrait voir suspendre certains de ses droits découlants du traité sur l’Union Européenne.
§2 : les mécanismes de protection des droits garantis par la CEDH.
A/ Le rôle de la commission.
La commission est un organe supranational, qui intervient en premier et comprend autant de membres que d’états parties à la CEDH.
1) L’examen de la recevabilité de la requête.
Filtrage très efficace : 5% des requêtes sont recevables.
· Les requêtes des états : la CEDH permet à toute partie contractante de saisir la commission de tout manquement à la CEDH qu’elle croira pouvoir être imputé à un autre état partie à la Convention. Chaque état se voit donc reconnaître un rôle d’accusateur public, et on n’exige pas des états qu’ils établissent un manquement à leurs intérêts personnels et directs.
· Les requêtes individuelles : la possibilité de saisir la Commission est reconnue aux personnes physiques sans condition de nationalité, de résidence ni de capacité. L’état du requérant ne peut entraver le recours. La seule condition est que l’état dont le requérant est ressortissant, doit avoir procédé à une déclaration de recours individuel : l’état doit accepter son éventuelle mise en cause devant une instance supranationale. Cette déclaration est conforme à l’esprit du droit international, qui cherche à ménager la souveraineté de l’état. La France a procédé à cette déclaration en 1981. La CEDH ouvre aussi le droit de saisine aux organisations non gouvernementales, c’est à dire à tout sujet de droit autres que les personnes physiques ou publiques = syndicats, particuliers, sociétés commerciales,… L’obligation de non cumul des recours empêche de remettre à la commission une requête essentiellement identique à une première ; et un individu victime d’une violation commise par un état parti de la CEDH et du pacte des Nations Unies relatif au droit civil ne peut pas se servir des deux procédures. La CEDH oblige de respecter certaines conditions de saisine de la commission.
Les conditions générales sont valables pour les requêtes étatiques et individuelles ; elles concernent l’épuisement des voies de recours internes. Le requérant doit avoir utilisé toutes les voies de recours avant de saisir la Commission, ce qui montre le caractère subsidiaire du recours européen car la protection des droits doit d’abord être assurée par les instances nationales, ainsi que le caractère complémentaire des recours car la protection des droits affirmés par la CEDH se fait à deux niveaux (internes et européens). Cette condition s’applique aussi aux requêtes étatiques contre une violation individuelle, mais pas à celles exercées contre des pratiques administratives. La règle des délais de 6 mois : la requête doit être introduite devant la Commission au plus tard avant expiration d’un délai de 6 mois qui court à compter de la décision définitive ayant refusé de donner satisfaction au requérant.
Les conditions particulières aux requêtes individuelles : le demandeur doit avoir la qualité de victime (c’est à dire qu’il doit avoir un intérêt légitime à agir), sa requête individuelle ne doit pas être manifestement mal fondée (absence de commencement de preuve à l’appui des moyens invoqués, ou absence de violation de la CEDH), et la requête ne doit pas être abusive.
2) L’enquête de la commission.
Ces pouvoirs d’enquête sont des pouvoirs d’établir, de vérifier les faits en les examinant de manière contradictoire. La commission peut demander des renseignements aux parties = communication des mémoires ; audition des parties, de témoins, d’experts,… ; enquête sur les lieux. Les états sont tenus de tout faire pour faciliter l’enquête de la commission (pas d’opposition à une visite de lieux,…)
3) La mission de conciliation de la commission.
C’est un moyen de parvenir à un règlement à l’amiable du litige. Il concerne toutes les requêtes individuelles ou étatiques. La commission recherche un accord entre les partis, ce qui permet à l’individu de négocier directement avec un état. Si la commission parvient à un accord, elle rédige un rapport entérinant le règlement amiable, qui est transmis au comité des ministres et publié. La procédure s’arrête alors ici. Si la commission échoue dans sa tentative de conciliation, elle rédige un rapport constatant son échec, dans lequel elle formule un avis sur le point de savoir si les faits révèlent une violation de la CEDH par l’état. Ce rapport est transmis aux états concernés, aux requérants, au secrétaire général du Conseil de l’Europe et au Comité des ministres. Ce rapport établit par la commission servira de base de travaux aux organes saisis ultérieurement.
B/ Le rôle subsidiaire du Comité des Ministres.
Le Comité des Ministres n’est saisi que si la Cour ne l’est pas (art. 32 CEDH). Il est chargé de trouver une solution politique au litige. Dans un premier temps, il doit constater la violation de la CEDH, et à défaut il classe l’affaire (fin de la procédure). Il peut aussi constater une violation comme la Commission avant lui, et décider de ne pas condamner l’état fautif, mais ce procédé est condamnable, car il s’assimile à un déni de justice, et montre le caractère politique de la saisine du comité. Dans la plupart des cas, il adresse des recommandations à l’état qui a commis la violation : il peut accorder à la victime une satisfaction équitable, une réparation pécuniaire.
Il a un pouvoir de contrôle sur l’exécution de la décision : il peut fixer les moyens à mettre en œuvre pour faire cesser la violation ou bien il peut publier le rapport de la Commission.
L’individu est exclu de cette phase de la procédure ; l’impartialité et l’indépendance du comité sont sujettes à caution car l’état auquel on reproche une violation prend part au vote ; la possibilité de ne pas prendre de décision affecte la crédibilité de son intervention. La seule sanction qu’il peut prendre (publication du rapport de la Commission) est un moyen de faire comparaître l’état devant l’opinion publique, mais il ne s’agit pas d’une sanction contraignante, car elle n’est que morale, voire politique.
C/ La saisine de la CEDH.
Elle a lieu à la place de la saisine du Comité des Ministres, et aboutie au règlement judiciaire de la procédure. Toutefois, la compétence contentieuse de la cour ne peut s’exercer qu’à l’égard des états qui ont accepté sa compétence obligatoire. La cour est saisie dans les 3 mois de la transmission du rapport de la commission au Comité des Ministres, par la commission, par l’état accusateur, par l’état dont la victime est ressortissante, par l’état mis en cause, ou par un particulier (par le biais d’une saisine de la commission et après admission de la recevabilité de sa requête par la commission de filtrage. Cette possibilité ne résulte pas de la CEDH, mais d’un protocole additionnel, qui sera abrogé avec la réforme).
La cour est composée d’un nombre de juges égal au nombre des états membres du Conseil de l’Europe. Elle exerce ses fonctions juridictionnelles par une chambre composée de 7 juges. La procédure est à la fois inquisitoire et contradictoire. Les décisions de la cour porte à titre principal sur le point de savoir s’il y a eu ou non violation de la CEDH, et, en cas de violation, elle rend un arrêt définitif insusceptible de momification, obligatoire, mais dans lequel elle se contente de déclarer que l’acte de l’état n’est pas conforme à la CEDH. Elle laisse l’état libre de choisir les moyens à utiliser pour s’acquitter de l’obligation de se conformer à sa décision. Les arrêts de la CEDH ont force obligatoire, mais ne valent pas titre exécutoire. L’exécution dépend de la seule volonté des états mais dans la pratique on constate que les arrêts ont une réelle autorité, car les états signataires ont politiquement intérêt à conserver ou acquérir le label de démocratie respectueuse des droits de l’homme, à tel point que s’ils encourent une condamnation, ils s’empressent de mettre leur législation ou jurisprudence en conformité avec la CEDH. Les arrêts de la CDH ont une autorité relative de chose jugée et n’obligent donc que les parties aux litiges. Si la cour a constaté une violation, elle peut accorder au requérant la réparation du dommage. Le comité des Ministres est chargé de la surveillance de l’exécution des arrêts de la Cour.
En raison du nombre croissant de requête, de l’élargissement du Conseil de l’Europe, et de l’allongement du délai pour rendre une décision (6 ans en moyenne), cette procédure est en pleine réforme. Le protocole n°11 signé en 1994 et entré en vigueur le 3/11/1998 institue la Cour Unique : elle prend à sa charge les compétences de la Commission, et du Comité des Ministres dans sa fonction d’examen des requêtes. Ce dernier restera chargé de la surveillance de l’exécution des arrêts. Sa composition sera modifiée, et le nombre de juge sera égal au nombre d’état partis à la CEDH. La Cour est composée de 4 chambres qui peuvent rendre des arrêts qui seront définitifs à l’issue d’un délai de 3 mois, pendant lequel une partie peut déferrer l’affaire devant une nouvelle formation = la grande chambre. Des comités sont chargés du filtrage des requêtes ; les chambres assurent le contrôle de recevabilité et sur le fond des requêtes ; la grande chambre, outre son rôle de deuxième niveau de juridiction, statue sur les affaires présentant des difficultés particulières et sur les décisions des chambres. Le but de cette réforme est de ramener le délai de la procédure à 2 ans.
Conclusion :
Ce sont des institutions de coopération. Leur objet est strictement défini dans leur statut = il s’agit d’institutions spécialisées, dont la mission a évolué car la pratique a montré des lacunes dans les statuts, des institutions à objet identique sont apparues (peu d’institutions arrivent à survivre dès qu’elles sont concurrencées : UEO / OTAN). De plus, leur objet était lié au contexte de leur création, et l’évolution de ce contexte a rendu nécessaire leur adaptation(OCDE devenue OECE ; missions de l’OTAN humanisées ; UEO rattaché à l’UE).
Toutes ces institutions se caractérisent par le soucis de ménager la souveraineté des états, qui veulent garder leurs compétences essentielles exprimant la souveraineté (défense, politique étrangère,…), c’est à dire les exercer en commun sans s’en dessaisir, ce qui se traduit par le mode de votation adoptée dans ces institutions, à savoir la règle de l’unanimité. Mais ce mode de votation risque d’entraîner des situations de blocage avec un nombre trop important d’état. Dans ce même but de sauvegarde de la souveraineté des états, la plupart des organes représentent les états, et ceux représentants les intérêts généraux de l’institution ou les intérêts européens sont relégués à un rôle de consultation et de proposition.