Les données historiques et constitutionnelles.
La Suisse est, avec l’Italie, la démocratie européenne qui intègre le plus d’éléments de démocratie directe dans son système représentatif.
Du 12ème à la fin du 18ème, ce n’est qu’une confédération de 13 cantons, liés entre eux par de simples traités d’alliance, et dont les représentants se réunissent en une assemblée générale = la Diet. Certains cantons pratiquaient déjà une certaine démocratie directe, mais la plupart d’entre eux, dont les cantons-villes étaient des républiques avec un pouvoir central très fort.
Dès la fin du 18ème, l’histoire constitutionnelle de la Suisse devient plus heurtée, et la formule souple de la confédération est abandonnée en 1798 sous la pression de la France. La Suisse adopte alors sa première constitution helvétique qui imite le régime du directoire de la France. En 1803, un acte restaure la confédération sous la pression de Bonaparte, et cette confédération est directement mise sous tutelle française. En 1815, la chute de l’Empire français permet le rejet de la tutelle française, et les 22 cantons concluent un pacte confédéral qui respecte pour l’essentiel l’indépendance et la souveraineté de chaque canton. A partir de 1830, un vaste mouvement de réforme protestante (= la régénération) touche une dizaine de cantons qui deviennent protestants et se transforment en régimes démocratiques : ils se heurtent à l’opposition des cantons restés catholiques. Les régénérés deviennent majoritaires à la Diet en 1847, et une procédure de révision du pacte fédéral aboutie à une constitution fédérale ratifiée par 15 cantons et demi (rejetée par 6.5 cantons), étendue en 1848 à l’ensemble des cantons par la Diet. Cette constitution de 1848 est toujours en vigueur aujourd’hui même si elle a été révisée en 1874.
Le fédéralisme helvétique.
· Les grands principes.
* Un fédéralisme historique : il est issu de toute la tradition historique du régime. C’est un fédéralisme très fort, très strict, qui correspond à une réalité historique, sociologique et culturelle. Il correspond à la partition de la Suisse en groupement de langues et de cultures différentes : elle est bi-confessionnelle (catholicisme romain et protestantisme) et depuis 1883, elle reconnaît 4 langues officielles (le français, l’allemand, l’italien et le romanche).
Le fédéralisme a beaucoup évolué : la moitié des révisions partielles de la constitution a eu pour objectif d’aménager le fédéralisme et de l’adapter à l’évolution de la société = augmentation des compétences de l’état fédéral.
* Le partage des compétences et l’autonomie des cantons : les cantons ont une compétence de droit commun ; l’état fédéral a une compétence d’attribution. Il y a un renforcement des pouvoirs législatifs fédéraux dans de nombreux domaines dont l’état des personnes, la circulation, l’économie, la santé,… Les cantons sont compétents en matière religieuse, d’éducation, d’ordre public, d’urbanisme,… et ont compétence pour adopter leurs propres systèmes juridiques civils et pénaux (un système différent dans chaque canton). Dans la majorité des cas, les cantons mettent en œuvre la législation fédérale : il n’y a donc pas d’organes fédéraux chargés de l’appliquer.
L’autonomie constitutionnelle était très marquée jusqu’à la période de la régénération (grande diversité de modèles institutionnels), mais depuis, les régimes adoptés par les différents cantons sont très uniformes.
* La participation des cantons : ils sont représentés au sein de la chambre haute du Parlement, qui a des pouvoirs quasi-identiques à ceux de la chambre basse. Ce bicamérisme égalitaire assure la représentation des cantons. Il n’y a pas d’administration fédérale.
· Les institutions des cantons.
A l’origine, les systèmes étaient divers, mais comportaient toujours une assemblée annuelle du peuple, assistée d’une assemblée consultative et d’un conseil exécutif. En 1848, le conseil exécutif est devenu le conseil d’état, élu directement par le peuple dans chaque canton au scrutin majoritaire. L’exécutif est collégial : entre 5 et 11 membres, et l’assemblée demeure mais elle est devenue unique = le Grand Conseil. Elle peut révoquer l’exécutif, et peut être dissoute par le peuple (mais pas par l’exécutif). Les membres des assemblées et exécutifs locaux peuvent être élus au Parlement fédéral, mais souvent il y a une limite de cumul de mandats.
Le système de parti.
· Le mode de scrutin.
Jusqu’en 1919, il s’agissait d’un scrutin majoritaire à 2 tours pour l’élection au Conseil national, ce qui a entraîné la bipolarisation de la vie nationale entre les catholiques conservateurs et les libéraux protestants. En 1919, l’instauration de la représentation proportionnelle a permis progressivement l’instauration d’un multipartisme, dans lequel 4 partis se sont imposés. Le système de parti est très stable car la RP a empêché la bipolarisation sans conduire à un émiettement.
· La quadripartisme.
* Le parti radical : il s’agit de l’ancien parti libéral radical qui a dominé la vie politique jusqu’en 1919, puis qui a décliné et a été absorbé dans un courant. Il incarne la droite modérée et demeure le parti le plus populaire.
* Le parti catholique : il date de 1912, c’est un parti populaire, conservateur, qui a pris de l’importance depuis 1919. Il est assez opportuniste. Le parti démocrate chrétien est plus radical que le parti libéral.
* Le parti socialiste : il a été créé en 1887, et c’est un parti révolutionnaire léniniste. Son évolution s’est concrétisée après la GM2, époque où il s’est séparé des communistes. Il est devenu un parti de gouvernement.
* L’Union démocratique du centre : il s’agit de l’outsider du système de parti, mais bien qu’il soit moins important que les 3 autres, il a toujours eu depuis 1959 un représentant au sein du Conseil fédéral. C’est un petit parti rural né à la faveur de la réforme du mode scrutin de 1919, et qui a évolué vers le centre, en restant rural (parti modéré).
Les institutions fédérales.
· Le tribunal fédéral.
Il date de 1874. Il est juge des conflits de compétence ou d’attribution (entre l’ordre juridique fédéral et les ordres juridiques cantonaux) et contrôle la constitutionnalité des lois cantonales (pas les lois fédérales, qui peuvent être soumises depuis 1974 à un référendum national). Sa jurisprudence vise à garantir les droits fondamentaux des individus. C’est une juridiction suprême et en cela, elle est le dernier degré de juridiction du système fédéral, mais elle n’intervient qu’en dernier recours après épuisement des voies de recours cantonales (judiciaires et administratives).
· L’assemblée fédérale.
Elle est l’autorité suprême de la confédération (art. 71).
* Composition : – le Conseil National représente la population et est composé d’environ 200 membres élus à la RP pour 4 ans.
– le Conseil d’état représente les cantons et est composé de 46 membres élus par les électeurs de chaque canton au scrutin majoritaire le plus souvent. La législature n’a pas de durée fixe, car elle est fixée par le droit cantonal = il n’y a jamais de renouvellement intégral.
* Organisation : l’assemblée connaît 4 sessions annuelles et des sessions extraordinaires. Les deux chambres siègent séparément et ne se réunissent que dans des cas exceptionnels. Elles disposent d’un président de chambre, de bureaux, de commissions permanentes qui disposent d’attributions législatives et de contrôle du Conseil fédéral.
* Attributions : elle a une fonction législative (vote des lois, traités internationaux et arrêtés fédéraux), de contrôle de l’exécutif et de l’administration fédérale. Elle est en liaison très étroite avec les cantons et a un rôle de maintien de la sécurité intérieure.
Certaines attributions sont exercées en chambre réunies : le droit de grâce, l’élection des conseillers fédéraux (membres du gouvernement), nomination des juges du tribunal fédéral et du Chancelier de la fédération.
· Le Conseil fédéral.
Il s’agit d’une autorité directoriale et exécutive de la confédération (art. 95). C’est un organe collégial.
* Les membres du conseil : – élection par l’assemblée et la « formule magique ». Depuis 1848, ce conseil est composé de 7 membres élus par le Parlement au cours de sa première session, à la majorité absolue des suffrages au trois premiers tours, et ensuite on enlève à chaque fois le candidat qui a obtenu le moins de suffrage. Il est constitué après l’assemblée qui ne peut choisir plus d’un membre dans le même canton = elle a mis en place un système de rotation pour assurer l’équilibre entre les cantons. Le gouvernement n’est donc pas toujours homogène dans sa composition, et représente plusieurs tendances.
La formule magique instaurée en 1959 régit la répartition des mandats entre les 4 partis. Chacun des 3 grands reçoit 2 sièges, le septième revenant à l’Union démocratique du centre. C’est donc un gouvernement « proportionnel ».
– durée des mandats. Elle coïncide avec celle des membres du Conseil National. Ils sont indéfiniment rééligible, et en pratique, ils sont réélus tant qu’ils le désirent.
* Le président du Conseil : il est aussi le président de la confédération. Il est désigné par l’assemblée pour un an et il n’est pas immédiatement rééligible. Il dirige un département ministériel, est assisté d’un vice-président élu dans les mêmes conditions et qui lui succède à l’issue de son mandat.
Ses pouvoirs sont très limités, car il n’est considéré ni comme un chef de gouvernement ni comme un chef d’état. Il permet de diriger les discussions au sein du Conseil et tranche avec voix prépondérante en cas de blocage. Il a une fonction de représentation à l’intérieur et à l’extérieur du conseil.
* Organisation et attributions du Conseil : – organisation : les ministères sont répartis entre les 7 conseillers, qui ont chacun plusieurs ministères. Chaque programme est discuté au sein d’un conseil, et les décisions sont toujours prises collégialement. Tous les membres du Conseil sont dépendants financièrement, et doivent obtenir l’accord des autres pour financer leurs programmes ministériels. En cas de blocage, un vote a lieu et le Conseil tranche.
– attributions : législatives (initiative, avis sur les propositions de lois ; ses membres assistent aux débats de l’assemblée et peuvent avoir à répondre directement aux questions des parlementaires), réglementaires (pouvoir d’ordonnances mais non autonome, car pris en application de la loi ; arrêtés sur habilitation législative dans le domaine de la loi), et exécutif (chef d’état, commandant des forces armées, responsable de la sécurité extérieure du pays, possibilité de se constituer en autorité judiciaire suprême).
· Les rapports entre l’assemblée et le Conseil.
* Les procédés dont dispose l’assemblée pour contrôler l’exécutif : la constitution affirme des principes contradictoires, car elle prétend que l’assemblée est l’autorité suprême du pays, mais elle affirme le principe de séparation des pouvoirs. Le postulat est une simple invitation au Conseil à examiner une mesure. La motion est un simple voeu formulé par les parlementaires, qui s’il est voté par les deux chambres, s’impose alors de façon obligatoire au Conseil. Le droit d’interpellation est une requête émanant d’un parlementaire, adressé au Conseil. Il n’y a pas de responsabilité politique du Conseil devant l’assemblée, mais en cas de désaccord, le Conseil s’incline : il n’a pas non plus d’arme contre l’assemblée.
* La réalité du fonctionnement politique du système : ce n’est ni un régime d’assemblée, ni un régime parlementaire, ni un régime présidentiel. Il existe des liens entre l’assemblée et le Conseil en raison du système de partis, et le Conseil est la clef de voûte du système institutionnel du pays. Le Conseil exerce des pouvoirs plus importants que l’assemblée, et on peut considérer qu’il dirige le pays. Le Suisse n’est pas une partitocratie, car il existe une très grande indépendance entre les partis et l’assemblée qui les a élus = ils cherchent l’intérêt du pays.
Les procédures référendaires.
· Le référendum.
* Le référendum constitutionnel : le Conseil fédéral a l’obligation d’organiser un référendum sur tout projet de révision de la constitution (= les additifs constitutionnels), qui doivent recevoir la double majorité du peuple et des cantons. Il peut être organisé pour ratifier certains textes, dont les traités internationaux.
* Le référendum législatif facultatif : en principe, il n’y a pas de démocratie semi-directe en matière de législation ordinaire. Pourtant, la constitution fédérale prévoit deux procédures qui permettent l’organisation d’un référendum, soit par la voie de l’initiative populaire (mais uniquement dans le sens abrogatif ; 50.000 signatures requises) soit par l’exécutif, sur un certain nombre de textes énumérés par la constitution (certaines lois, certains traités internationaux, des arrêtés fédéraux = des arrêtés d’urgence)
· L’initiative populaire.
Un certain nombre de citoyens peut demander l’organisation d’un référendum. Le projet est soumis à l’assemblée fédérale qui peut ou non accepter le texte, ainsi que le modifier. Elle transmet alors le texte au conseil fédéral qui organise le référendum. Le Tribunal Fédéral doit se prononcer sur la recevabilité de l’initiative populaire.
En matière constitutionnelle, il faut recueillir 100.000 signatures pour demander l’organisation d’un référendum. L’initiative populaire peut alors être en faveur d’une révision complète de la constitution (jamais jouée), ou être présentée avec un projet rédigé, qui doit alors être soumis à l’assemblée fédérale qui statuera dessus. Elle peut le refuser, et rédiger un contre-projet : le référendum organisé portera alors sur le texte de l’initiative populaire et sur celui de l’assemblée fédérale. Une troisième question invite les électeurs à se prononcer par préférence sur l’un ou l’autre des textes pour le cas où il y aurait égalité des voix.
En matière législative ordinaire, il faut recueillir 50.000 voix.
Conclusion sur le régime suisse.
Le régime suisse n’apparaît vraiment comme un authentique régime d’assemblée car les pouvoirs de l’assemblée fédérale sont très nettement contrebalancés par les procédures de démocratie semi-directe.