Section 1 : La notion de contrat (art. 1101 du code civil).
Art. 1101 : le contrat est « une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres à donner, à faire ou à ne pas faire quelque chose ».
I/ Le contrat est une convention.
C’est un accord de plusieurs volontés, ce qui le distingue d’un acte unilatéral.
II/ Le contrat est une convention génératrice d’obligations.
Le terme convention désigne tout accord produisant des effets de droit : une convention peut donc créer, transférer ou éteindre des obligations. Tous les contrats sont des conventions, mais l’inverse n’est pas vrai : les conventions qui transfèrent ou éteignent des obligations sans en créer ne sont pas des contrats.
III/ Le contrat est une convention génératrice d’obligations juridiques.
Les actes de pure courtoisie : aucune obligation juridique n’en découle, et ils n’exposent à aucune sanction.
Les actes de complaisance ne créent pas d’obligations juridiques, mais peuvent produire des conséquences de droit. Le transport bénévole d’un ami en voiture, permet, en cas d’accident, de mettre en jeu la responsabilité civile.
Les engagements d’honneur (gentleman’s agreements) : leur exécution dépend de la loyauté respective des parties, qui s’interdisent tout recours juridique. La jurisprudence leur accorde parfois une valeur juridique en estimant qu’ils font naître une obligation, dont l’inexécution doit être sanctionnée par des dommages et intérêts. Les juges apprécient souverainement sa valeur juridique.
Les accords intermédiaires interviennent au cours de négociations, et ont pour but de fixer les questions essentielles sur lesquelles le consentement des deux parties est acquis, ainsi que de marquer l’engagement des parties à continuer de discuter les autres questions. Ils n’obligent pas à signer un contrat définitif, mais seulement à continuer les négociations = ils peuvent donner lieu à des dommages et intérêts en cas de rupture brutale des pourparlers.
Les avant-contrats sont des contrats préparatoires du contrat définitif. Ils sont provisoires et obligatoires. Il peut s’agir de : – pactes de préférence : une personne s’engage envers une autre à ne pas conclure un contrat déterminé avec un tiers avant de lui en avoir proposé la conclusion. Fréquent en matière immobilière.
– promesses unilatérales de contrat. Une promesse unilatérale de vente (PUV) est constituée quand le promettant promet au bénéficiaire de lui vendre un bien. Le bénéficiaire est libre de l’acheter ou non. Lors de la promesse seul le promettant est engagé (avant-contrat) ; le bénéficiaire s’engage en levant l’option (contrat définitif).
Cette promesse est un contrat unilatéral : il existe un accord de volonté entre les parties, mais seul le promettant est engagé. Les PUV contiennent souvent une clause de dédit (le bénéficiaire doit une somme d’argent s’il ne lève pas l’option) afin de compenser l’impossibilité du promettant à disposer de son immeuble pendant la durée de l’option. La jurisprudence considère que la promesse est unilatérale si l’indemnité d’immobilisation est peu élevée, mais qu’elle devient synallagmatique si l’indemnité est élevée (pression sur le bénéficiaire : il perd sa liberté de lever l’option).
– promesses synallagmatiques de contrat. Les deux parties s’engagent réciproquement à la conclusion d’un contrat, dans l’attente du contrat définitif = elles signent un compromis. Cette étape est nécessaire quand une partie est d’accord pour acheter un bien sous réserve d’obtenir un prêt : la jurisprudence considère en principe que cette promesse vaut vente en application de l’article 1589 alinéa 1, sous réserve de l’obtention du prêt.
Les contrats : ils créent définitivement des obligations. Ils font l’objet de classifications.
Section 2 : Les classifications des contrats.
§1 : Les classifications formulées par le code civil.
A/ Contrats synallagmatiques et contrats unilatéraux.
1) La distinction.
Contrat synallagmatique ou bilatéral (art. 1102 cciv.) : il crée des obligations réciproques à la charge des parties, chacune étant à la fois créancière et débitrice. Ex : le contrat de vente,…
Contrat unilatéral (art. 1103 cciv.) : il ne fait naître d’obligations qu’à la charge d’une seule des parties. Cette partie n’est que débitrice, et l’autre n’est que créancière. Ex : la donation, le contrat de prêt,…
2) Les intérêts de la distinction.
Un intérêt probatoire : l’acte sous seing privé constatant un contrat synallagmatique est soumis à la formalité du double original (art. 1325 c.civ.), alors que celui constatant un contrat unilatéral est soumis à la formalité de la mention manuscrite en chiffres et en lettres (art. 1326 c.civ.).
Un intérêt sur le fond : les obligations réciproques nées d’un contrat synallagmatiques sont interdépendantes : pour chaque partie, la créance dont elle bénéficie et la dette dont elle est tenue sont indissociables. Il en résulte trois mécanismes propres aux contrats synallagmatiques : – l’exception d’inexécution = si l’une des parties n’a pas exécuté son obligation, l’autre peut refuser d’exécuter la sienne en invoquant cette exception d’inexécution.
– la résolution du contrat = l’une des parties a bien fourni sa prestation, mais n’a pas reçu celle à laquelle elle avait droit, et peut donc demander la résolution du contrat.
– la théorie des risques = un événement de force majeure qui libère une des parties de sa dette va faire tomber sa créance. Ex : le bailleur d’un immeuble qui a brûlé, n’est plus tenu d’assurer la jouissance de l’immeuble au locataire, mais ne peut plus non plus percevoir le loyer.
B/ Contrats à titre gratuit ou contrats à titre onéreux.
Contrats à titre gratuit ou « contrat de bienfaisance » (art. 1105 cciv.) : l’une des parties au contrat procure à l’autre un avantage sans rien recevoir en contrepartie. Cette absence de contrepartie est voulue (ex : donation). La gratuité peut aussi consister en un service gratuit (ex : prêt accordé sans stipulation d’intérêts).
Contrats à titre onéreux (art. 1106 cciv.) : chaque partie fournit quelque chose à l’autre en échange d’une contrepartie considérée comme équivalente. Si le contrat synallagmatique est normalement à titre onéreux du fait de la réciprocité des obligations, un contrat unilatéral peut aussi être à titre onéreux.
La considération de la personne du cocontractant est indifférente dans un contrat à titre onéreux, alors qu’elle est déterminante dans un contrat à titre gratuit, souvent conclu intuitu personae.
La responsabilité du débiteur est allégée dans un contrat à titre gratuit : le donateur n’est pas tenu à garantie.
C/ Contrats commutatifs et contrats aléatoires (art. 1104 cciv.).
Contrat commutatif : ses prestations sont certaines, définitivement déterminées lors de la conclusion du contrat.
Contrat aléatoire : la prestation de l’une des parties dépend d’un événement incertain = chaque partie court une chance de gain et un risque de perte. L’aléa peut porter sur : – l’existence de l’une des prestations. Ex : un pari,…
– l’étendue de la prestation. Ex : la vente en viager…
La nullité du contrat pour lésion (déséquilibre important) n’est pas possible pour le contrat aléatoire, en vertu de l’adage « l’aléa chasse la lésion », car la chance de gain et le risque de perte ont été acceptés.
§2 : Les classifications suggérées par le code civil.
A/ Contrats nommés et innomés (art. 1107 cciv.).
Contrat nommé : la loi lui a donné un nom, et l’a réglementé. Ex : contrat de vente, de dépôt,…
Contrat innommé : il n’est pas réglementé par la loi, mais aménagé par les parties. Ex : contrat de parking,…
Pour un contrat nommé, la règle applicable est celle édictée par la loi ; pour un contrat innommé, il s’agit de la règle adoptée par les parties dans leurs conventions.
L’évolution actuelle tend à : – la multiplication des contrats nommés : de nouveaux contrats nommés sont apparus dans des lois postérieures au code civil (contrat d’assurance, de promotion immobilière,…).
– une réglementation de plus en plus impérative (contrat de travail,…).
B/ Contrats consensuels et non consensuels.
Le contrat consensuel est formé par le seul échange des consentements sans qu’aucune condition de forme ne soit imposée. C’est le principe en droit français.
La formation du contrat non consensuel ou formaliste requiert en plus de l’accord des volontés, l’accomplissement d’une formalité déterminée : – les contrats solennels exigent pour être valables la rédaction d’un acte écrit.
– les contrats réels ne sont formés que par remise de la chose qui en est l’objet.
C/ Contrats à exécution instantanée et à exécution successive.
Le contrat à exécution instantanée a pour objet une ou des prestations susceptibles d’être exécutés immédiatement. Ex : vente au comptant.
Le contrat à exécution successive implique l’accomplissement de prestations échelonnées dans le temps.
Ex : contrats de travail, de bail,… Les contrats à durée déterminée sont renouvelés par tacite reconduction (dans le silence des parties) alors que les contrats à durée déterminée peuvent à tout moment faire l’objet d’une résiliation unilatérale de la part de chaque partie au contrat (cette possibilité de résiliation pouvant être réglementée par la loi).
§3 : Les classifications apparues postérieurement au code civil.
A/ Contrats de gré à gré et d’adhésion.
Les clauses des contrats de gré à gré sont discutées entre les parties : elles font l’objet de concessions réciproques.
Les clauses des contrat d’adhésion sont fixées à l’avance par l’une des parties, et l’autre ne peut les discuter : soit elle adhère en bloc au contrat proposé, soit elle refuse de contracter. Cette possibilité est souvent illusoire : ce type de contrat répond à une nécessité quotidienne (contrat de transport) ou à une obligation légale (assurance automobile).
La théorie des contrats d’adhésion est née au début du XXème (Saleilles) : ce seraient des actes unilatéraux émanant d’une volonté privée, qu’il aurait fallu soumettre à un régime spécial (contrôle du juge). La jurisprudence n’a jamais considéré ces contrats comme une catégorie autonome, même si elle veille à ce que les clients aient bien connaissance de l’ensemble des clauses. Le législateur, conscients des risques d’abus de puissance économique, a réglementé les contrats de travail, de transports, d’assurance,…
B/ Contrats individuels et collectifs.
Les contrats individuels sont conclus entre deux ou plusieurs personnes, et leurs effets concernent les seules parties en vertu du principe de l’effet relatif. Ce sont les contrats de droit commun.
Les contrats collectifs engagent un groupe de personnes plus larges que les seuls contractants, et font donc échec au principe de l’effet relatif. Ex : les conventions collectives.
CCL : les contrats n’échappent pas à la loi de la complexificication croissante. Des groupes de contrats sont apparus : ils relient entre eux des contrats portant sur un même bien ou sur une même opération.
les chaînes de contrat : les contrats portent sur un même bien. La chaîne est homogène si les contrats sont de même nature (ventes successives du bien du fabricant au grossiste, au détaillant, au consommateur,…) ; et elle est hétérogène quand ils sont de natures différentes (sous contrat de sous location greffé au contrat principal de location).
les ensembles contractuels concernent une même opération : l’ensemble est constitué par une vente d’immeuble et par le crédit destiné à son financement.
Section 3 : L’évolution de la théorie générale du contrat.
En droit romain, la volonté ne suffisait pas à engendrer une obligation : il fallait accomplir un rite formel.
En droit canonique, l’évolution vers le consensualisme commencée par le droit romain s’est poursuivie. La seule parole donnée va engager la personne, et devra être respectée quelle que soit sa forme (morale chrétienne).
La théorie générale du contrat est aujourd’hui en crise : pour certains auteurs, le droit commun des contrats est un droit mort face à toutes les théories jurisprudentielles et à tous les droits spéciaux qui la contredise ; pour d’autres, ses fondements doivent évoluer en s’enrichissant de nouveaux principes capables d’expliquer son évolution actuelle.
§1 : L’évolution des fondements de la théorie générale du contrat.
A/ Abandon du fondement subjectif, volontariste et individualiste de l’autonomie de la volonté.
Il a été abandonné suite à la critique de Gounot (1912) et à la nouvelle approche proposée par Ghestin (1980).
1) Origine et sens de l’autonomie de la volonté.
Origines : – philosophiques : l’autonomie de la volonté repose sur les idées du XVIIIème, parmi lesquelles le postulat d’une liberté naturelle de l’homme : s’il est libre, alors sa volonté est toute puissante.
– économique : le libéralisme met en avant l’idée de l’équilibre automatique, à condition de laisser les hommes aménager librement leurs échanges. L’obligation librement acceptée ne peut pas être injuste.
– juridique : l’autonomie de la volonté n’est pas contenue dans le code civil. Pour Mme Ranouil, il s’agit d’un concept systématisé par la doctrine à la fin du XIXème, qui a permis une relecture a posteriori des règles du code civil. La meilleure systématisation a été faite par E. Gounot et, depuis, tous les grands traités ont présenté l’autonomie de la volonté comme la notion dominant le droit des contrats.
Sens : selon le dogme de l’autonomie de la volonté, la volonté est à la fois la source et la mesure des obligations contractuelles, qui n’existent que parce qu’elles ont été voulues par les parties au contrat.
La volonté fournit : – la mesure des conditions de formation du contrat : la conclusion du contrat ne suppose donc pas en principe de conditions de formes particulières = principe du consensualisme.
– la mesure du contenu du contrat : la volonté détermine elle-même et librement les dispositions du contrat = principe de la liberté contractuelle.
– la mesure de l’effet du contrat : il n’engage que ceux qui l’ont voulu = principe de l’effet relatif.
– la mesure de l’interprétation du contrat : le juge doit rechercher la commune intention des parties = leurs volontés au moment de la conclusion (art. 1156 du code civil).
2) La remise en cause et l’abandon de l’autonomie de la volonté.
La doctrine s’accorde pour remettre en cause l’autonomie de la volonté, mais à des degrés différents.
pour une minorité d’auteurs, dont le Doyen Carbonnier, l’autonomie de la volonté est en déclin, mais domine toujours le droit des contrats.
pour la majorité de la doctrine, dont Malaurie, le dogme de l’autonomie de la volonté est abandonné.
Ghestin a remis en cause ce principe, en proposant de lui substituer d’autres fondements. Il a développé sa critique : – sur le plan philosophique : le pouvoir de la volonté ne peut s’exercer au détriment de valeurs supérieures (intérêt général,…). Le législateur et le juge doivent donc pouvoir contrôler si les manifestations de volonté individuelles respectent l’intérêt général et des impératifs supérieurs, tels que la bonne foi, la loyauté, la justice,…
– sur le plan social : la liberté ne doit pas être absolue, car elle porte atteinte à l’égalité, en conduisant au règne de la loi du plus fort en matière contractuelle. Elle doit être conciliée avec l’égalité réelle et la protection : la loi doit intervenir pour limiter la liberté contractuelle afin de protéger les contractants faibles.
– sur le plan économique : l’automatisme des équilibres économiques est une fiction, car les ententes entre les entreprises les plus puissantes a supprimé le libre jeu de la concurrence. L’état a dû intervenir pour protéger les contractants les plus faibles au nom de l’intérêt général.
L’abandon du dogme de l’autonomie de la volonté ne signifie pas l’abandon du rôle de la volonté. Il signifie juste que la volonté n’est pas autonome, c’est-à-dire qu’elle n’a pas de pouvoir créateur de droit égal à celui de la loi.
B/ L’émergence d’une pluralité de fondements.
Pour Ghestin, la volonté est un instrument au service du droit objectif, celui-ci ne donnant force de loi qu’aux contrats justes et utiles. Les deux fondements sont donc le juste et l’utile.
le contrat est obligatoire parce qu’il est utile = il doit présenter une utilité particulière pour chacune des parties, ainsi qu’une utilité sociale.
le contrat n’est obligatoire que s’il est juste = une justice commutative qui commande que chacune des parties doit recevoir l’équivalent de ce qu’elle fournit.
Depuis 20 ans, le droit des contrats traduit une aspiration qualitative de bonne foi, de solidarité,… qui n’est pas prise en compte par ces deux fondements, d’ordre quantitatifs. Un contrat doit donc être juste, utile et fraternel.
§2 : L’évolution des principes de la théorie générale.
Les principes de liberté contractuelle, de consensualisme, de force obligatoire, d’effet relatif du contrat ont été dégagés depuis longtemps par la doctrine. Les atteintes qu’ils ont subi ont conduit à en rechercher d’autres qui expliquent les règles auparavant considérées comme dérogatoires aux principes classiques : les principes d’égalité contractuelle, d’équilibre contractuel, et de fraternité contractuelle sont venus compléter les précédents.
A/ L’évolution des principes classiques.
Ils ont perdu leur caractère absolu, qui découlait de l’absolutisme de l’autonomie de la volonté.
1) Le principe de la liberté contractuelle.
Sens : il engendre les libertés de contracter, de choisir son cocontractant, et de détermination du contenu du contrat. Les particuliers peuvent donc créer d’autre contrats que ceux réglementés par la loi.
Atteintes : le développement du capitalisme moderne a conduit à l’apparition de grandes inégalités sur les plans économique et social. Le juge et le législateur sont intervenus pour les compenser, ce qui a d’abord été analysé négativement comme des atteintes à la liberté contractuelle : obligations de contracter (assurances automobiles), cocontractant imposé (droit de préemption conféré à l’administration, aux communes, aux locataires,…), et contenu du contrat imposé (réglementation impérative des contrats d’adhésion).
2) Le principe du consensualisme.
Le contrat se forme par le seul échange des volontés à condition qu’elles soient libres et éclairées. Ce principe connaît aujourd’hui des atteintes dues au développement du formalisme. En effet, dans de nombreux contrats, le consentement des parties doit être complété par la rédaction d’un écrit répondant à des obligations légales particulières. Le but est de protéger les parties en situation de faiblesse.
3) Le principe de force obligatoire du contrat.
Il a été déduit de l’article 1134 du code civil qui pose la règle de l’effet obligatoire du contrat pour les parties. L’alinéa premier stipule « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ».
Les lectures successives : – la lecture classique, dominée par l’autonomie de la volonté, consistait à mettre sur un pied d’égalité la volonté et la loi, en s’appuyant sur les mots « conventions » et « loi » contenus dans la loi.
– la lecture contemporaine : seules les conventions légalement formées sont visées = la volonté est subordonnée à la loi ; Jamin met l’accent sur « tiennent lieu » = la force légale n’est qu’une force d’emprunt.
Conséquences : – dans la théorie générale classique, le principe de force obligatoire était compris de manière absolu, et on en déduisait l’intangibilité ou l’immuabilité du contrat.
Les parties ne peuvent le révoquer que par consentement mutuel, ou pour des causes autorisées par la loi (1134 al.2).
Le juge n’a pas le pouvoir de réviser les contrats en cours, même si les circonstances économiques ont changées.
Le législateur ne peut pas modifier les contrats en cours = règle de la survie de la loi ancienne. Il déclare donc la loi nouvelle applicable aux contrats en cours, ou permet au juge de modifier lui-même le contrat.
– dans la théorie générale contemporaine, le principe de force obligatoire s’assouplit devant les exigences de justice et d’équilibre contractuel. La souplesse contractuelle, nécessaire à l’adaptation des contrats aux évolutions des circonstances, est aujourd’hui possible en raison de l’évolution des fondements de la théorie générale.
Le contrat puise sa force obligatoire dans le droit objectif qui lui même poursuit des finalités supérieures d’utilité et de justice expliquant sa force obligatoire. Le principe de force obligatoire semble devenu un moyen au service de l’utilité et de la justice.
B/ L’émergence de nouveaux principes.
1) Le principe d’égalité contractuelle.
Il concerne les parties au contrat, et permet de sanctionner l’inégalité ou de rétablir l’égalité entre les parties dans la formation ou l’exécution du contrat afin que la partie en situation d’infériorité puisse contracter et exécuter en connaissance de cause et que l’autre ne puisse pas abuser de sa situation de force.
les deux consentements doivent être pareillement libres et éclairés lors de la conclusion du contrat. A défaut, l’inégalité pourra être sanctionnée grâce à l’annulation pour vices du consentement, et pourra être rétablie par l’information de la partie en situation d’infériorité par rapport au contrat conclu, ou par la réflexion sur l’opportunité de conclure le contrat (délai de réflexion) ou de le maintenir (délai de rétractation).
l’égalité pourra être rétablie au stade de l’exécution du contrat grâce à une interprétation favorable à la partie la plus faible. La jurisprudence admet cette interprétation In Favorem.
2) Le principe d’équilibre contractuel.
Le contrat dans sa formation et son exécution doit respecter un équilibre entre les prestations, un équilibre global entre les droits et les obligations des parties, et entre les clauses.
les déséquilibres initiaux : les différents cas de lésion admis apparaissent comme des manifestations de ce principe. Il explique aussi les pouvoirs du juge, jusque là considérés comme des exceptions à la force obligatoire, de rééquilibrer le contrat, ou de réduire les clauses pénales manifestement excessives.
les déséquilibres postérieurs à la conclusion : admettre un principe d’équilibre contractuel pourrait permettre l’admission de la révision du contrat pour imprévision.
3) Le principe de solidarité (ou de fraternité) contractuelle.
Chaque contractant est tenu de prendre en compte par delà son propre intérêt, les intérêts du contrat et de la partie adverse, afin de favoriser la conclusion, l’exécution et le maintien du contrat, compris comme la base d’une collaboration, d’une union d’intérêts. Les parties sont donc amenés à se transformer d’adversaires en partenaires.
Les manifestations de ce principe se multiplient : développement des obligations de bonne foi, de loyauté, de collaboration et de coopération, du devoir de conseil, de l’octroi de délai de grâce au débiteur en difficulté.
Conclusion : combinaison des principes classiques et des nouveaux principes.
Les principes classiques sont d’inspiration individualiste et volontariste : ils expriment un soucis prédominant de l’individu. Les nouveaux principes expriment le soucis de l’autre et de la justice sociale. Pour surmonter cette apparente contradiction, il faut les concilier dans une logique d’expansion de la théorie générale.
Apparente contradiction : développés à l’extrême, les principes traditionnels aboutissent à la négation des nouveaux principes. Ex : la liberté contractuelle absolue conduit à l’inégalité contractuelle.
Nécessaire conciliation : il faut combiner les soucis de l’individu avec le soucis de l’autre et de l’ordre juridique, ainsi que la stabilité du contrat avec la justice. Il faut entrer dans une logique de complémentarité des principes. Ex : si l’égalité contractuelle existe, le principe de liberté contractuelle s’applique, mais en cas d’inégalités, le principe d’égalité prend le relais.
§3 : L’évolution de la conception du contrat.
A/ Concept classique : le bloc contractuel.
Le contrat était un bloc intangible : c’était un bloc cristallisé de droits et d’obligations provenant de l’accord des volontés. Pour Mestre, le contrat est le choc frontal de 2 idées contraires, qui ne pouvait pas être remis en cause.
Le contrat était une bulle fermée : c’était un monde clos, imperméable aux influences extérieures. La loi et le juge devaient interférer le moins possible avec le contrat.
Le contrat était insensible : il était quasiment indestructible. Il était insensible à : l’écoulement du temps et aux changements de circonstances économiques (pas de révision pour imprévision) ; aux changements d’avis individuels des parties (pas de révocation unilatérale des contrats) ; à ses propres déséquilibres internes (refus de contrôle objectif de l’équilibre des prestations par le juge) ; et à la loi nouvelle (règle de survie de la loi ancienne).
La volonté créait la loi du contrat, qui, une fois fixée, s’imposait aux parties, au législateur et au juge.
B/ Conception renouvelée : le lien contractuel.
1) Le contrat est un lien vivant entre les parties.
Un contrat n’est pas seulement une rencontre ponctuelle des volontés au moment de la conclusion. C’est aussi une rencontre inscrite dans le temps de deux aspirations convergentes pour collaborer, ce qui suppose un minimum d’entente et de coopération entre les parties.
Le lien contractuel qui relie les deux unions, est soumis à des forces de cohésion et à des forces d’évolution, qui peuvent tendre à son éclatement : le contrat devient plus adaptable, plus souple. La jurisprudence et la loi utilisent de plus en plus des sanctions qui permettent de modifier l’acte sans l’anéantir : régularisation, nullité partielle, clauses réputées non écrites, révision d’une clause, remplacement d’une clause illicite par une clause licite,…
On passe de l’intangibilité du contrat (force obligatoire absolue) à la souplesse contractuelle.
2) Le contrat est relié au milieu juridique.
Le contrat est soumis au droit objectif : « l’accord des volontés ne produit des effets de droit que parce que le droit objectif lui reconnaît un tel pouvoir, et dans les limites définies par celui-ci ». Les lois nouvelles d’ordre public (effet immédiat) et les contrats d’adhésion (soumis à une réglementation impérative) se sont multipliés.
L’accroissement du rayonnement obligatoire du contrat : – sur le plan matériel, en plus des obligations voulues par les parties, on trouve des obligations greffées au contrat par la loi et le juge.
– sur le plan personnel, on admet que la catégorie des parties au contrat est susceptible de s’étendre à des personnes tiers au moment de la conclusion. La force obligatoire du contrat s’en trouve affaiblie = le contrat est moins intangible.
De plus en plus, le contrat est relié à d’autres contrats : l’interdépendance des contrats. La loi reconnaît un lien entre le contrat de consommation et le contrat de prêt destiné à son financement.
3) Le contrat devient sensible.
Le contrat est : – parfois sensible aux changements d’avis individuels (faculté de rétractation).
– souvent sensible aux déséquilibres internes contemporains de sa formation : la révision des clauses pénales manifestement excessives est admise ; éradication des clauses abusives.
– parfois sensible aux changements de circonstances économiques : le juge accorde un délai de grâce au débiteur, ou ré-échelonne une dette dans le cadre de la loi de 1989 sur le surendettement des particuliers. Le juge refuse toutefois toute révision pour imprévision.
– de plus en plus sensible à la loi nouvelle : généralisation de l’effet immédiat sur le contrat au détriment de la règle de la survie de la loi ancienne.
Conclusion : le mot « fondement » peut être employé pour désigner le fondement de la théorie générale du contrat, ou pour désigner le fondement de la force obligatoire du contrat.
Dans une conception classique, le contrat est obligatoire car il a été voulu : le fondement de la force obligatoire résidait dans la volonté considérée comme l’égal de la loi. Ce fondement a été critiqué par G. Rouhette en 1965 : une personne peut avoir voulu le contrat lors de sa conclusion, mais ne plus en vouloir lors de son exécution. Pourquoi sa volonté passée serait-elle alors plus forte que sa volonté actuelle? Pour Rouhette, ce qui oblige la personne à exécuter cette volonté passée, c’est le droit objectif car il donne sa force obligatoire au contrat.
Dans une conception moderne, le fondement de la force obligatoire du contrat est le droit objectif.